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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/473

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l’épiscopat même, purent quelquefois déplorer la perte des derniers restes d’un gouvernement local ; mais le presbytérianisme fut épargné ou plutôt ménagé par la maison de Hanovre, et la loi commune de l’Écosse, loi civile, loi criminelle, tout ce qui était chez elle de droit municipal, ses habitudes et ses divisions sociales, ses établissemens d’instruction publique, tout fut respecté ou du moins laissé à lui-même par le gouvernement central. Les représentans du nord au parlement impérial, élus généralement sans combat et sans effort, se soumirent à la politique du cabinet de Saint-James, sans beaucoup s’y intéresser. L’Écosse, de plus en plus étrangère aux affaires de la Grande-Bretagne et du gouvernement auquel elle était nominalement assujettie, perdit par degrés jusqu’au sentiment de l’existence politique, et renonça, sans se l’avouer, à toute prétention de marquer dans l’histoire de l’Europe. Elle ne refusa rien à un pouvoir qui lui demandait peu, heureuse d’être un des pays les moins gouvernés qu’il y eût au monde. Elle arriva ainsi à l’indépendance de fait ; elle put être entièrement elle-même, et présenta un spectacle unique dans le monde européen. Les pays annexés à d’autres plus puissans ne sont d’ordinaire abandonnés à leur propre sort qu’autant qu’ils ne valent pas la peine d’être asservis. L’Écosse était bien pauvre, mais elle possédait une civilisation véritable. Elle trouvait dans sa situation maritime une sécurité qui ne lui rendait pas souvent nécessaire l’assistance armée de son gouvernement. Elle n’épousait que par la pensée les passions et les desseins des cabinets britanniques : médiocrement sensible à leur gloire, elle l’était moins encore à leurs revers ; mais si le ressort politique était brisé chez elle, le ressort moral demeurait tout entier. Son individualité était respectée ; on ne lui demandait que soumission sans assimilation. Ainsi l’Écosse est restée plus Écosse que si elle eût joué un rôle actif et considérable dans les destinées du tout dont elle faisait partie. Avec ses mœurs, ses lois, sa religion, elle conservait cette noblesse rustique, cette féodalité inoffensive qui maintient entre les classes subordonnées quelque chose des liens de famille et de la hiérarchie du moyen âge ; ces pasteurs dévoués au peuple et qui se croyaient chargés par Dieu même de rendre leur troupeau apte à comprendre librement sa parole, et, pour développer la foi, de cultiver la raison ; ces maîtres des universités à qui toute ambition était interdite hors du cercle de l’esprit, et qui ne pouvaient aspirer qu’à rester l’aristocratie locale du savoir et de la pensée. C’est grâce à ces élémens divers que dans le dernier siècle s’est maintenue et développée sans bruit, sans nom, sans gloire, en suivant librement son génie, en trouvant dans un bonheur paisible le progrès moral et intellectuel, une des plus inconnues, une des premières sociétés du monde.