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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/474

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À Dieu ne plaise que je conteste aux hommes la noble et orageuse prérogative de former des sociétés qui, par la politique et par les armes, font l’intérêt capital et les grandes beautés de l’histoire ! Tout ce que l’homme peut exécuter, tout ce qui signale l’étendue de son esprit, l’énergie de son courage, la puissance de son action, il le doit accomplir. Il demeurera encore bien incomplet en étant tout ce qu’il doit être, et je ne suis pas tombé au rang des découragés de notre temps à ce point de vouloir ravir aux nations le droit et la force de devenir historiques. Mais le non omnia possumus omnes s’applique aux peuples comme aux individus, et de même qu’on a toujours permis aux philosophes et aux poètes de célébrer cette condition tranquille dans laquelle le sage peut obscurément s’enfermer pour ne chercher que la possession de la vérité et de la vertu, on doit permettre que, dans la variété des associations humaines, il s’en rencontre quelques-unes qui, satisfaites d’une humble fortune, se bornent à participer à tous les biens de la civilisation morale, et à ne passer dans l’histoire que pour heureuses, honnêtes et instruites. La médiocrité peut être d’or pour un peuple comme pour un individu. De même que les sages ne portent pas envie aux grands hommes, les peuples sages peuvent se passer d’être de grandes nations.

À de tels peuples, les sciences, les lettres et les arts donnent seuls de l’éclat, et l’Écosse s’est en effet placée, depuis un demi-siècle, au nombre des nations qui jouent un rôle dans les annales de l’esprit humain. C’est sous cet aspect qu’il nous convient ici de la considérer, et que nous devons la présenter dans une esquisse générale, avant de faire connaître avec plus de détail un des penseurs et des écrivains qui illustrent encore ses écoles déclinantes.


II

Chez la plupart des peuples de l’Europe, ces développemens heureux ou brillans de l’esprit humain, qu’on a souvent appelés des renaissances, paraissent s’être en général manifestés dans l’église, dans les universités et dans les cours. Les hommes isolés ont peu fait. Ceux mêmes qui sortaient d’un corps enseignant ou religieux n’ont acquis toute leur réputation et leur influence qu’en s’approchant des grands centres du mouvement social. Il a fallu que les gouvernemens ou les aristocraties les enhardissent par leur protection, et consentissent à les placer au milieu de leur propre lumière. En Italie, en France, en Angleterre, les cours ont beaucoup servi à la vogue des savans et des lettrés. À défaut de la faveur, le pouvoir leur a du moins accordé la persécution. Mais il n’y avait plus de cour en Écosse depuis le commencement du XVIIe siècle, et Buchanan est presque le seul écrivain célèbre à qui la bienveillance des