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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/475

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puissans ait par momens prêté un éclatant appui. Il avait un talent d’écrire véritable, quelques qualités du poète, et s’il n’eût composé en latin, il aurait encore un rang dans la littérature. Destiné par Marie Stuart à l’éducation de son fils, il eut l’ingratitude ou l’indépendance de se déclarer contre elle, et d’épouser la cause de la réforme religieuse et même politique. Par une étrange méprise, l’auteur d’un traité plus que libéral sur la royauté fut chargé de l’éducation de ce roi Jacques VI, le docteur de l’absolutisme, et l’élève d’un poète fut un pédant ; mais familiarisé avec les nouveautés qu’on enseignait en France et dans le midi de l’Europe (on dit qu’il avait entendu Ramus), Buchanan introduisit dans les Universités, notamment dans celle de Saint-André, une certaine liberté d’enseigner, et porta les premiers coups au règne de l’ancienne scolastique.

De lui à la révolution, il y a peu de noms connus. Les controverses qui précédèrent la guerre civile ne furent point fécondes. Les époques révolutionnaires ne laissent point aux esprits le recueillement et la méditation, presque toujours nécessaires aux progrès du savoir ou aux chefs-d’œuvre du talent. La nature ne donne point à profusion les hommes qui se plongent, sans s’y perdre, dans l’abîme des dissensions publiques, et qui en rassortent, comme Milton, avec toute la fraîcheur de leur imagination primitive ; radieux génies qui percent et illuminent les nuages orageux dont ils se sont comme à plaisir enveloppés. La théologie étroite et brûlante qui saisit alors presque tous les esprits absorbait leur activité sans leur donner la fécondité ni l’étendue, et l’amour calme du beau, la passion désintéressée du vrai, ne pouvaient trouver place dans ces intelligences surexcitées par la haine, la dispute et le fanatisme. Heureusement il restait à l’Écosse ses universités. C’est là, c’est grâce à ces asiles, relativement paisibles, de l’étude et de la réflexion que se conserva le foyer des sciences et des lettres. Un moment couvert de cendres, il se ranima bientôt, se réchauffa doucement ; et ne tarda pas à jeter des étincelles. Quoique, à l’exemple de toutes les fondations du moyen âge, les universités écossaises fussent des établissemens ecclésiastiques, le caractère de la foi nationale les soustrayait à la jalousie comme à la protection des deux puissances, et leur permettait de conserver ensemble leur modestie et leur liberté. Le presbytérianisme est pour le dogme un calvinisme absolu. Ses croyances en matière de justification, fondées sur une théorie exagérée de la déchéance primitive, devraient pénétrer l’homme d’une terreur humiliante, et le décourager, au profit de la grâce, de toute confiance dans les lumières de sa raison et dans les forces de son intelligence ; mais les choses humaines sont inconséquentes, et le calvinisme est loin d’avoir produit constamment de tels effets, ni d’avoir mené, par le dédain des sciences, à une sorte de barbarie mystique