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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/539

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jeune homme, l’officier fît un geste d’adhésion, salua poliment les femmes, et sortit, accompagné de ses soldats, du vieillard et de son fils. Arrivé dans le salon, Erjeb s’assit d’un air important. — Gardons-nous, effendi, de considérer la capture du rebelle comme une affaire manquée. Il ne peut être loin, et je connais plus d’une cachette où il pourrait se réfugier à plusieurs lieues à la ronde. Je vous proposerais d’aller l’y chercher à l’instant même, si je n’étais convaincu que nous pouvons nous en éviter la peine, et que nous nous emparerons de lui ici même sans brûler une amorce. Écoutez moi avec attention. Le Kurde est amoureux fou de sa femme, qu’il a laissée auprès de nous dans un état de santé peu rassurant. Soyez certain qu’il ne tardera pas à se rapprocher d’elle. Demeurez cachés dans la maison pendant un jour ou deux ; nous répandrons la nouvelle de votre départ et celle du redoublement de la fièvre d’Habibé : ou je me trompe fort, ou le renard viendra se prendre au piége.

L’officier se laissa convaincre, et se blottit avec ses hommes dans le cabinet attenant au salon d’Hassana, où ils burent et fumèrent à discrétion. Le vieillard respira un peu plus à l’aise, et Erjeb rentra dans le harem pour délivrer Fatma, et répandre le bruit du départ des soldats.

Erjeb avait dit vrai : un jour s’était à peine passé, que Méhémed quittait la maison d’Osman, et se dirigeait vers l’habitation où il tremblait de retrouver sa bien-aimée en proie à la fièvre. Le bey arriva, sans obstacle devant le mur du jardin, l’escalada et s’avança vers la fenêtre faiblement éclairée d’Habibé. Là il frappa doucement dans ses mains, espérant attirer par ce léger bruit l’attention de la jeune femme. Il ne fut pas déçu dans son espoir, car une blanche figure parut à l’instant même à la fenêtre. — Fuyez ! dit Habibé à voix basse, les soldats sont dans la maison, ils vous guettent ; je suis bien, mais…

Elle n’eut pas le temps d’en dire davantage ; de la maison d’Hassana et des deux côtés du jardin qui donnaient sur la campagne, douze hommes se précipitèrent. Avant que Méhémed eût le temps de se mettre en garde, ils entourèrent, se jetèrent sur lui, le terrassèrent et ils ne le lâchèrent qu’après l’avoir bien et régulièrement garrotté. C’en était fait : le fruit de tant d’efforts, de tant de courage et d’adresse, de tant de dévouement, était irrévocablement perdu. Le Kurde était de nouveau captif ; il allait reprendre la route de Constantinople et cette fois sous la garde de forces supérieures, d’hommes clairvoyans et instruits d’ailleurs par ses premières évasions. Il faut plus de courage pour céder franchement à la nécessité que pour lutter contre elle ; mais Méhémed avait tous les genres de