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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/540

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courage, et, une fois certain que son sort était fixé, il ne s’occupa plus que de le subir dignement, sans folle irritation comme sans lâche faiblesse.

Quant à Habibé, son rôle était tracé d’avance. Elle reprenait sa place auprès du proscrit. Ce fut en vain que Méhémed la supplia de ne pas s’exposer aux fatigues et aux dangers de la route, de demeurer au moins chez Hassana jusqu’à son entier rétablissement, quitte à le rejoindre plus tard dans la capitale. Elle savait trop bien que ses jours étaient comptés, et qu’à partir de son entrée dans Constantinople, sa vie serait constamment menacée. Résistant à toutes ses instances, elle se prépara résolument au départ, qui eut lieu dans la matinée du lendemain.

L’escorte était nombreuse, les précautions étaient infinies, et sans qu’on oubliât aucun des égards dus à un aussi grand personnage, la surveillance ne se relâcha pas un instant. Les captifs ne firent point de vaines tentatives, et ils arrivèrent après dix jours de marche dans la capitale de l’empire.

IX.

Un palais avait été préparé à l’avance pour recevoir Méhémed et sa compagne, de nombreux domestiques furent mis à sa disposition, des esclaves du sexe féminin furent attachés au service d’Habibé, et un harem complet fut offert au Kurde, qui s’empressa de le congédier. Le patriarche de sa nation l’attendait à sa porte, il venait informer Habibé que sa commission avait été fidèlement exécutée et qu’elle était libre. Le gouvernement proposait à Méhémed de l’indemniser de la perte de son esclave soit en argent, soit en nature ; mais celui-ci répondit galamment que rien ne pouvait le dédommager de la perte d’Habibé, excepté pourtant la satisfaction de la savoir heureuse en la rendant à sa famille. Tout allait à merveille, et le patriarche offrit à Habibé de la conduire dans sa demeure, où une personne envoyée par son père l’attendait depuis plusieurs jours ; il ajouta que le consul aurait désiré venir lui-même au-devant de sa fille chérie, mais que l’état de sa santé l’avait retenu à Bagdad.

Habibé avait tout écouté en silence, et lorsqu’elle comprit que le patriarche n’attendait plus que son bon plaisir pour se retirer en l’emmenant avec lui, elle demanda quelques instans de loisir pour remplir un devoir qui lui tenait à cœur ; puis eue passa dans une pièce voisine, d’où elle sortit bientôt tenant une lettre à la main.

— Noble patriarche, dit-elle au grand-prêtre des Kurdes en présence de Méhémed-Bey, voici une lettre qui expliquera à mon père la position dans laquelle je me trouve et les raisons qui s’opposent