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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/596

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créa les bourgeoisies, toujours virtuellement républicaines par leur condition civile et leur régime électif ; seulement l’élément républicain de l’Angleterre, s’étant, par l’émigration, dérobé aux élémens contraires qu’il laissait en Europe, a pu s’organiser librement en Amérique. L’Amérique n’a donc pas à nous communiquer ce qu’elle a emporté de chez nous ; l’Europe continue sa vie propre, et au milieu de résistances utiles et fortifiantes, elle n’élève que plus haut les principes d’intelligence, d’humanité et de liberté dont elle poursuit la conquête.


I

Voyons d’abord la plus ancienne des colonies anglaises, la Virginie. Comme tout s’y fait par des causes naturelles et simples, par des intérêts et des besoins d’un ordre vulgaire ! Après les tentatives infructueuses de Walter Raleigh, la Virginie est concédée à une compagnie de Londres. La compagnie ne s’inquiète que des dividendes, les émigrans régleront entre eux leurs rapports civils et de police. On distribue des lots de terre, les familles s’établissent sur la propriété, le travail attaque le sol, la culture du tabac réussit admirablement ; mais sous ce climat brûlant il faut des esclaves noirs pour la culture, l’esclavage est introduit. Alors, sûre de trouver des bras, une émigration nombreuse de gentilshommes et de gens aisés vient s’emparer de vastes domaines, dans des vallées fertiles, sur les bords des rivières navigables, dans des solitudes indépendantes. Plus tard, des cavaliers, fuyant la révolution et Cromwell, viennent s’y joindre. Ce sont des royalistes ; ils apportent avec eux l’église anglicane ; ils ont des esclaves noirs, ils ont même des esclaves blancs. L’Angleterre, en plein XVIIe siècle, expédiait aux colonies ses pauvres, ses convicts et même ses proscrits. Après la défaite du duc de Monmouth, en 1685, « plus de mille prisonniers, dit M. Laboulaye, furent ainsi condamnés à la transportation, et, ce qui est plus abominable que la peine, partagés comme un bétail entre les seigneurs et les dames de la cour, qui vendaient ces misérables à des marchands de chair humaine. » Les pauvres qui, voulant chercher leur subsistance aux colonies, n’avaient point de quoi payer le voyage, se vendaient en Angleterre, à des marchands, pour quatre ou cinq ans de service. Ces marchands les revendaient à des colons. On les appelait les engagés. C’étaient des esclaves temporaires, mais de vrais esclaves. Rudement traités par leurs maîtres, ces engagés fuyaient. On appliqua des peines sévères aux fugitifs ; en cas de récidive, par exemple, on les marquait d’un fer rouge à la joue, ou bien on prolongeait leur servage de plusieurs années, à l’arbitraire du juge. En