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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/597

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somme, convicts, engagés, déportés, tous hommes qui, malgré leur misère ou leurs crimes, avaient respiré quelque air de liberté ou d’humanité en Europe, étaient de mauvais esclaves, peu soumis, dispendieux, prompts à la révolte. Il fallut en défendre l’importation, et on reprit les noirs, dont le nombre, de 1671 à 1790, a centuplé. Les Virginiens n’étaient pas plus coupables que les autres nations à cette époque. Cette honte de la chrétienté, l’asservissement brutal d’une race humaine, les a toutes souillées ; mais on voit que, dès leur origine, chez les Américains comme chez les autres, les principes étaient mis à la seconde place, la première étant déjà remplie par les intérêts.

C’est pourtant dans ces circonstances que s’organisa de toutes les colonies anglaises la plus jalouse de sa liberté, celle qui un jour devait donner ses chefs à l’insurrection générale. Des flots successifs d’émigration sortis de toutes les classes vinrent augmenter l’énergie de cet esprit ; mais l’inspiration irrésistible venait surtout des nécessités du commerce et du travail, ces moteurs souverains de la liberté. Planteurs et propriétaires, les colons s’aperçurent bientôt que leur charte ne les traitait pas précisément en Anglais de la vieille Angleterre. Ils avaient bien le droit d’aînesse et les substitutions, ils avaient les franchises et immunités des sujets anglais ; mais ils voulurent encore les privilèges des citoyens, le droit de gouverner eux-mêmes leurs affaires. Ils ne voulurent plus se soumettre à une corporation commerciale, à un conseil supérieur siégeant à Londres, ni au conseil local, qu’ils n’élisaient point eux-mêmes, et ils parlèrent si haut, que le gouverneur de la colonie, en 1619, jugea nécessaire de convoquer une assemblée générale de représentans élus par les diverses plantations pour exercer la puissance législative de concert avec lui et avec le conseil colonial. Ce n’était qu’un fait d’abord ; au bout d’un an, ce fait dut être légitimé par une constitution écrite. Voilà donc la constitution anglaise qui se reproduit dans la colonie, mais dans des conditions bien plus rapprochées de la république : le gouverneur représente le roi avec le droit de veto, le conseil permanent nommé par la compagnie fait la fonction de la chambre haute, mais ni l’un ni l’autre n’ont le prestige ni la force de la royauté et de l’aristocratie d’Angleterre, et l’assemblée élective est l’image de la chambre des communes. Pour la justice, on remplace les cours martiales par le jury. Ainsi toutes les garanties anglaises sont reconquises, mais rajeunies, débarrassées des puissans contre-poids de la métropole : elles se sont en quelque sorte embarquées pour l’Amérique, en laissant dans l’ancien monde la dure et pesante enveloppe sous laquelle elles s’étaient formées. Ainsi la Virginie, aristocratique d’origine, anglicane de religion, royaliste de sentiment, fonda la première