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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/598

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assemblée législative d’Amérique treize ans après sa fondation. Et l’idéal des droits de l’homme était tellement absent de tout cela, qu’en ce temps-là même où se fondait la liberté (1620) commençait aussi l’importation des nègres. Il n’y eut pas plus d’idées philosophiques dans l’établissement de la colonie virginienne qu’il n’y en avait eu dans l’établissement de la féodalité au Xe siècle. L’une et l’autre furent l’œuvre des propriétaires, qui, dispersés sur la surface d’un vaste pays, se cantonnaient dans leurs propriétés au milieu d’une population asservie ; mais il y a cette différence à l’honneur de la féodalité, que celle-ci n’avait point créé la servitude, elle l’avait trouvée. Elle était au contraire un premier débrouillement de la barbarie au sortir de plusieurs siècles d’invasions et de désastres, et en conservant le servage de la glèbe, elle abolissait l’esclavage domestique, tandis que les hommes libres de la Virginie importaient l’esclavage de propos délibéré, sous le roi théologien Jacques Ier aux premiers jours du siècle de Louis XIV, lorsque les mœurs s’adoucissaient partout, lorsqu’eux-mêmes sortaient de l’Angleterre frémissante et marchant à sa révolution pour la liberté des enfans de Dieu, et ils adoptaient cette horrible institution comme un simple expédient pour la culture du tabac. Au reste les Virginiens n’en furent que plus ardens pour leur indépendance. « Partout où règne l’esclavage, disait Burke, ceux qui sont libres sont de tous les hommes les plus fiers et les plus jaloux de leur liberté. La liberté n’est pas seulement pour eux une jouissance, c’est une espèce de noblesse et de privilège. La liberté leur paraît quelque chose de plus grand et de plus relevé que dans ces pays où, commune à tous, elle s’unit avec un travail abject, avec de grandes misères, avec tout l’extérieur de la servitude[1]. »

À partir de cette époque, tous les événemens, tous les actes de la métropole, favorables ou hostiles, ne font qu’exalter, dans une population active et défiante, cet attachement à d’antiques privilèges recouvrés au nom de la tradition, et bientôt même ils aigrissent dans son sein un levain d’indépendance ; Si le gouvernement supprime la Charte commerciale et s’empare du monopole du tabac, à cause de cela même il oublie de supprimer les libertés de la colonie, qui augmentent ses revenus. Cromwell les ménage et les confirme. À la restauration, le commerce des colonies est accaparé par les marchands anglais ; en vertu du fameux acte de navigation, dont les conséquences commencent à se développer, les colonies ne peuvent plus vendre qu’à l’Angleterre, acheter que de l’Angleterre, ni commercer entre elles, si ce n’est en subissant de fortes taxes. Enfin le système

  1. Discours au parlement en 1775, cité et traduit par M. Laboulaye, p. 460.