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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/659

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que nous relevions en même temps les attaques véhémentes dont les économistes ont été l’objet de la part des protecteurs officieux du travail national. On ne parlait de rien moins que de supprimer l’enseignement de l’économie politique et de casser aux gages les professeurs ! — Quant au gouvernement, placé entre deux exagérations contraires, recevant à la fois des conseils passionnés ou des avis intéressés, il se trouva dans le plus grand embarras pour distinguer le vrai du faux, pour recueillir des renseignemens exacts et pour trouver la solution dont s’accommoderait le mieux l’intérêt public.

À quoi bon tourner sans cesse dans le même cercle d’argumens et s’épuiser en disputes violentes ? On ne saurait évidemment exiger des partisans du libre-échange qu’ils abandonnent leur doctrine, mais, comme les principes absolus n’ont jamais gouverné le monde, il serait assurément préférable de voir ces réformateurs si ardens rassurer les intérêts par l’explication des faits accomplis, au lieu de les inquiéter par d’incessantes menaces. Les changemens de tarifs qui ont été effectués en France depuis quatre ans leur fourniraient d’excellens argumens pour démontrer que la plupart de nos industries n’ont rien à redouter d’une transition à un régime plus libéral. Les libres échangistes se rencontreraient alors sur beaucoup de points avec les partisans du système de protection, tel que l’ont toujours interprété et commenté les esprits sages ; ils se verraient soutenus par les manufacturiers intelligens, qui, se plaçant au-dessus d’un intérêt exclusif et égoïste, comprennent qu’il faut céder au mouvement des faits, et la cause de la réforme serait assurée d’un prompt succès. L’épreuve solennelle que l’industrie française a subie victorieusement aux expositions de Londres et de Paris, l’exemple des pays voisins, de ceux-là même qui étaient assujettis au régime douanier le plus rigoureux, enfin cette sorte de courant électrique qui se répand aujourd’hui dans l’Europe entière et qui met en communication les intérêts comme les idées des principaux peuples, tous ces faits, toutes ces impressions conspirent naturellement à cette réforme. Il suffit de laisser marcher les événemens, et il y aurait imprudence à en précipiter le cours pour la satisfaction d’un principe. Au point où en sont les choses, il. ne parait plus douteux que, le jour où l’état pourra renoncer aux revenus que procurent les droits sur les matières premières, les prohibitions maintenues jusqu’ici sur les tissus disparaîtront pour faire place à un tarif protecteur, car les défenseurs de la protection ont cessé depuis longtemps de prendre la prohibition pour mot d’ordre, et, tout en désirant que la législation douanière réserve aux produits nationaux la plus grande partie du marché intérieur, ils savent que les échanges avec l’étranger sont favorables au développement de la fortune publique, et que l’industrie elle-même a besoin du stimulant de la concurrence. En réalité, ce sont ces idées, et non les inflexibles principes du libre-échange, qui obtiendront gain de cause ; les exagérations, les espérances chimériques auxquelles se livrent certains économistes ne peuvent avoir, aujourd’hui comme par le passé, d’autre résultat que de rendre plus difficile et par conséquent de retarder la révision progressive des tarifs.

Depuis deux ans, tous les produits ont atteint des prix très élevés ; nous sommes dans une période de cherté extrême. La crise des subsistances, la guerre, la rareté du numéraire, expliquent en partie ce phénomène ; mais