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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/660

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le renchérissement provient en même temps d’une autre cause qui parait devoir influer longtemps encore sur le marché général, nous voulons parler des exigences extraordinaires de la consommation. L’équilibre entre l’offre et la demande est en ce moment dérangé. Malgré les progrès vraiment merveilleux de la science et de l’industrie, la production ne suffit plus aux débouchés qui lui sont ouverts. On a prétendu que cette cherté de toutes choses est un indice de richesse et de civilisation : ingénieux sophisme qui serait fort inoffensif, si la hausse des salaires correspondait à celle des produits. Malheureusement il n’en est pas ainsi. On sait que le taux des salaires ne s’est point élevé en proportion du prix des choses nécessaires à la vie, et la masse des consommateurs apprécie médiocrement la consolation qu’on lui offre en assurant que l’état de cherté profite à la civilisation et à la richesse sociale ! En tout cas, il est certain que les produits fabriqués s’écoulent avantageusement et vite par les chemins de fer, par les bateaux à vapeur, dans le nouveau comme dans l’ancien monde. Or on protège l’industrie aussi bien en lui procurant des débouchés au dehors qu’en lui réservant le marché intérieur, car ce qui lui importe, c’est que ses produits soient assurés de trouver, quelque part que ce soit, un placement profitable. D’où la conséquence que dans les conditions actuelles la réduction des tarifs ne causerait aucun préjudice sérieux à nos manufactures.

En résumé, les partisans du libre-échange demandent une réforme en se fondant sur un principe absolu qui est fort contestable, et sur des exemples qui sont sans analogie avec la situation de la France ; ils ont adopté un mode de polémique qui compromet la cause même dont ils désirent le triomphe. Les partisans raisonnables de la protection, s’appuyant sur l’étude des faits, ne se refusent pas à reconnaître que la législation douanière peut et doit être remaniée, sous la condition que la production nationale demeure défendue, autant qu’il le faut et non au-delà, contre les industries rivales. Les premiers estiment que, pour obtenir quelque chose, il faut demander tout ; les seconds sont convaincus qu’on arriverait à une solution meilleure en apportant dans le débat plus de modération, de ménagemens et de patience. Ne vaut-il pas mieux se rattacher à ce dernier parti ?


C. LAVOLLEE.