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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/156

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— Un duc! s’écria Urbain comme s’il avait parlé d’un dieu de l’Olympe. De telles relations peuvent mener à tout!

— Je désire seulement qu’elles te mènent à l’Opéra-Comique, répondit Madeleine.

Restée seule, la jeune femme éprouva un vague effroi. Ce n’était pas là ce qu’elle avait espéré. Le bon sens, que l’amour n’avait pu éteindre, lui disait que le monde, auquel sacrifient tant d’artistes à leurs débuts, prend plus qu’il ne donne. Urbain n’était pas un instrumentiste pour s’y tant dévouer. On avait vu souvent un maître sortir d’un grenier; on n’en connaissait point sortant d’un salon. C’était là une éducation factice, un de ces stages de serre chaude par lesquels les réputations se flétrissent plus souvent qu’elles n’arrivent à maturité. — il s’habituera aux petites choses, se disait-elle, et les grandes lui seront impossibles.

Le dîner auquel Urbain avait engagé Paul Vilon eut lieu. Huit ou dix personnes recrutées sur les boulevards et dans deux ou trois salons y assistaient. On parla beaucoup, on but aux succès à venir d’Urbain, on rit un peu; Paul ne manqua pas d’esprit, et Urbain fut enchanté. Le lendemain, il annonça à Madeleine que ces dîners se renouvelleraient fréquemment. — Tu vois, dit-il, je tiens ce que je t’avais promis... Avant six mois, tout Paris saura que tu es la femme d’Urbain Lefort.

Madeleine n’osa pas lui demander ce que serait Urbain Lefort dans six mois. Six mois après, Urbain, dont la verve abondante ne tarissait pas, eut l’idée de donner un concert dans la salle Herz. De l’idée à l’exécution, il n’y eut qu’une course de cabriolet jusqu’à la rue de la Victoire. La salle fut louée, et Paul invité à mettre son influence au service du compositeur; il le promit et tint parole. Les prospectus se multiplièrent; deux ou trois articles parurent çà et là accompagnés de vingt réclames. Urbain passa tout un mois en courses; il ne descendait plus de voiture et ne cessait pas de rendre visite aux artistes qui lui avaient promis leur concours. Il voulut avoir un orchestre pour jouer sa dernière symphonie et le paya. Pendant trente jours, il eut la fièvre; Madeleine ne le voyait plus que la nuit fort tard ou aux heures des repas, et encore pas toujours. Elle ne songeait qu’aux périls de cette épreuve; il ne parlait que d’espérances. Sa personnalité l’absorbait entièrement; il lui semblait que son concert était l’événement du jour. Il engagea des chanteurs et des choristes pour exécuter une grande scène lyrique qu’il avait ébauchée au commencement de son séjour à Paris et qu’il termina en trois nuits. La chose achevée, il réveilla Madeleine pour la lui jouer au piano. Il était dans le ravissement. Cette exaltation fit mal à Madeleine. — Ah! mon Dieu! pensa-t-elle, si c’était une chute! — et elle