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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/157

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frissonna. Dans son inquiétude, elle crut devoir interroger Paul Vilon pour connaître son opinion. Paul cria au miracle. L’exagération de ce langage lui fit peur : elle y sentait la banalité. Un incident ajourna le concert d’un mois. Urbain recommença ses courses. En attendant, les dîners allaient toujours. Tous les soins de la maison roulaient sur Madeleine. Les notes lui arrivaient de tous côtés; les revenus du mois étaient mangés dès les premiers jours. Effrayée des proportions que prenait ce concert, Madeleine essaya de faire quelques observations. Urbain se mit à rire. — Mme de La Chable a pris cent billets; M. Le duc de R... en a voulu cent autres; j’en ai placé cinq cents parmi les habitués de leurs salons. Il n’y a que toi qui doutes de mon succès... Il est vrai que tu es ma femme! — Madeleine ne dit plus rien.

Paul cependant ne se faisait pas faute d’aller chez Urbain aux heures où il était sûr de ne pas le rencontrer. Il l’attendait alors, et causait avec Madeleine. Il éprouvait une sympathie réelle pour cette jeune femme, dont la franchise et la simplicité ne se démentaient jamais. Malheureusement Madeleine était jolie, et Paul, qui la voyait beaucoup, ne put se défendre d’un sentiment plus vif que l’amitié. Il ne s’en rendit pas bien compte d’abord, puis ne cessa pas d’aller rue des Martyrs, quand il vit plus clair dans son cœur. Il n’avait pas de projets préconçus; peut-être cependant comptait-il à tout hasard sur l’occasion. La pente était trop douce pour ne pas l’entraîner, et d’énigmatique son langage devint plus précis. Madeleine avait le cœur trop droit pour rien soupçonner durant les premières visites; plus tard, elle regarda bien en face l’ami d’Urbain, et comprit tout. Elle en ressentit une telle indignation, qu’elle en éprouva comme un doute par contre-coup : il était impossible qu’un homme qu’elle recevait dans son intimité, et qui serrait la main de son mari, eût de telles pensées. Elle se fit violence pour recevoir Paul de nouveau. Cette fois le journaliste ne lui permit plus la moindre illusion. Elle se contint néanmoins. — Quand vous me connaîtrez mieux, vous ne me parlerez plus ainsi, dit-elle en se levant. Paul, qui se connaissait en physionomies, la quitta. — Hum! se dit-il, j’aurais préféré une grande colère.

Madeleine demeura jusqu’au soir dans une singulière perplexité. Sa candeur la poussait à tout dire à Urbain; mais n’était-il pas à craindre que dans sa première et légitime irritation il ne provoquât M. Vilon? Elle prit un détour, et, s’appuyant sur l’épaule d’Urbain tandis qu’il transcrivait quelques notes: — Ne trouves-tu pas que M. Vilon vient beaucoup ici? dit-elle.

— Il vient parce qu’il m’a pris en amitié, répondit Urbain, qui écrivait toujours... Ce matin encore il a parlé de mes compositions en des termes qui me prouvent le cas qu’il fait de moi.