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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/252

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En baisant ce clavier, qui maintenant sommeille,
Ma bouche a recueilli comme un dernier soupir ;
J’ai vu dans une coupe une rose vermeille
Qui, lorsque tu partis, achevait de s’ouvrir.

Châtelaine aux yeux bleus, tes lois pesaient à peine
Sur ce petit royaume aujourd’hui désolé :
Je rencontre partout, charmante souveraine,
Un navrant souvenir du bonheur envolé.

Mais il me semble aussi que dans les salles vides
Passe un esprit d’amour qui me parle tout bas, —
Que ces fleurs, que ces bois, que ces ondes limpides
Murmurent un secret que je ne comprends pas.

Ah ! s’il m’était donné de sonder le mystère,
Que ton âme a laissé, chère femme, en ces lieux,
Un rayon de soleil luirait sur ma misère —
Peut-être, et de doux pleurs couleraient de mes yeux ?

Ah ! si ce testament, si cette confidence
Qui flotte sur les eaux et dans l’air embaumé,
C’était, ô noble enfant, la céleste assurance
Que ton cœur me pardonne et que je suis aimé !…


II


RETOUR VERS LE PASSÉ.


Souvent, lorsque la nuit, si tiède en ces contrées,
M’apporte des jardins, des treilles empourprées,
Les ivresses du sud et les parfums amers,
Lorsque la lune étreint les blanches colonnades,
Que le balcon s’éveille au chant des sérénades,
Et qu’un soupir d’amour gonfle le sein des mers ;

Lorsque de mes amis la verve intarissable
Près de moi coule à flots, quand brillent sur la table
L’or pur et les rubis des vins délicieux,
Je me tais, je me perds en quelque rêverie,
Et j’ai peine, en songeant à ma douce patrie,
À retenir les pleurs qui roulent dans mes yeux.

Je sens que je suis né pour des bonheurs plus graves,
Pour des cieux moins profonds, plus voilés, plus suaves,
Que je suis las enfin de cet enivrement,
Et que je donnerais ces brises odorantes,
Ces rayons, ces concerts, ces voluptés ardentes,
Pour une nuit brumeuse en pays allemand…

Que de fois, en automne, au bruit de la rafale,
J’ai longé tes arceaux, ma noble cathédrale,
Foulant l’herbe des morts à ton ombre étendus !