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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/275

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disciples, dont le nombre grossissait chaque jour, l’accompagnaient en formant autour de lui un cortège qui donnait à ses pérégrinations un air de marche triomphale. D’ailleurs, ne l’oublions pas, il était de race royale, et jamais on n’avait vu un kchattrya s’arroger hardiment le droit d’enseigner. Quand il mourut, sa doctrine, adoptée déjà dans l’Inde centrale et prêchée dans les provinces du nord et de l’est, avait pris la consistance d’un système philosophique, et même d’une théorie religieuse. Aussitôt trois de ses principaux disciples se chargèrent de la rédaction des livres qui devaient servir de base à la croyance nouvelle. Kàcyapa, brahmane de caste, désigné pour succéder au maître en qualité de pontife[1], compila les ouvrages canoniques, ceux qui touchent au dogme et à la métaphysique. Ananda, guerrier de naissance et cousin de Çâkya, rédigea les traités de morale, et rassembla les légendes relatives à la vie du réformateur. Enfin un coûdra, du nom d’Oupâli, réunit en un code complet tout ce qui se rattache à la discipline. Ces trois recueils, appelés les Trois Corbeilles, représentaient comme une arche sainte renfermant toute la doctrine au triple point de vue de la philosophie, de la morale et de la pratique. À plusieurs reprises, on les examina dans des conciles qui s’attachaient à en fixer la rédaction d’une manière plus précise, à mesure que l’esprit mobile et inquiet des sectaires y introduisait quelque dangereuse nouveauté. De ces Trois Corbeilles en effet s’échappaient, comme autant de germes emportés par le vent, des systèmes d’une subtilité singulière qui se propageaient avec rapidité, et menaçaient d’étouffer la pensée primitive du réformateur. Quatre siècles après la mort de celui-ci, on ne comptait pas moins de dix-huit sectes bien distinctes. Déjà se trahissait dans la croyance nouvelle le manque d’unité qui devait la détruire un jour.

Les conciles avaient bien de la peine à mettre d’accord les chefs des écoles dissidentes, qui tendaient les unes au déisme, les autres à un nihilisme absolu. Celles-ci, plus philosophiques, semblaient aboutir au néant par une suite de raisonnemens logiquement déduits de la parole même du maître ; elles s’appuyaient aussi sur d’anciens systèmes brahmaniques, — les sankhya par exemple, — auxquels le réformateur avait fait plus d’un emprunt. Celles-là ramenaient le dogme nouveau vers la notion d’un dieu suprême ; elles refaisaient peu à peu un olympe peuplé d’une innombrable quantité de divinités classées par ordre de hiérarchie, et au milieu desquelles rayonnait la physionomie placide du grand Bouddha. Ainsi le nouveau

  1. Le pontife était le maître de la loi. Il ne faut pas le confondre avec le grand lama, qui est le premier des bouddhas vivans, celui en qui revit l’âme du bouddha suprême. Le lamaïsme est sur ce point et sur beaucoup d’autres une déviation du bouddhisme indien.