Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait vu les Arabes aborder aux deux rives de la presqu’île avec leurs grosses barques, et le bruit des conquêtes accomplies dans la Perse par les califes avait dû retentir jusqu’à Indraprastha, la moderne Delhi. Au VIIIe siècle, des fugitifs chassés des montagnes du Kohistan par la persécution étaient venus chercher un asile dans le Gouzerate. Après avoir erré durant près de cent années dans les régions inhospitalières du Khorassan, ils s’étaient fixés à Ormuz, puis ils avaient pris la mer pour aller plus loin vers le sud fonder une colonie. Ces étrangers, c’étaient les Guèbres ou Parsis[1]. Des environs de Diù, où ils avaient séjourné quelque temps, ils vinrent aborder à Sandjân et entrèrent en pourparlers avec le radja de la contrée, Yadé-Rânâ, qui leur accorda la permission d’établir sur ses terres le feu sacré, objet de leur culte. Ils se nommaient eux-mêmes « les Parsis, beaux, sans peur, vaillans et athlétiques, adorateurs du soleil, des élémens, et d’Hormazd, chef des demi-dieux. » L’Inde, qui leur donnait asile, se croyait encore et pour longtemps à l’abri des mêmes périls. L’invasion musulmane de 1011 n’avait pas détruit la dynastie hindoue ; Mahmoud avait laissé sur le trône le roi d’Indraprastha, et les successeurs de celui-ci l’occupèrent encore pendant cent quatre-vingt-deux ans à titre de tributaires. Le premier prince musulman qui régna à Dehli fut un esclave turc. Fils d’une race barbare, il écrasa et anéantit les vieilles familles royales de l’Hindoustan, déjà humiliées par la défaite. Le brahmanisme se vit contraint de courber le front sous la loi du sabre ; il eut la douleur de voir un Tartare se rire des idoles, établir un culte étranger sur les ruines du culte traditionnel de la nation aryenne, et fouler avec mépris les lieux consacrés par le souvenir des grandes guerres que le Mahâbhârata avait chantées.

Il y a donc près de sept siècles que la nationalité hindoue, frappée au cœur, a commencé à s’éteindre. De même que les aryens, — et après eux d’autres peuples de la Scythie et de la Médie, dont on entrevoit la mention dans les livres anciens, — avaient débordé sur l’Inde à des époques reculées et étendu au loin les rameaux de leurs tribus, — de même aussi, après des siècles d’une tranquillité moins troublée, les populations mises en mouvement par l’islamisme se ruèrent suivies riches contrées où régnait le paganisme brahmanique. Afghans et Mogols saccagèrent à l’envi les plus riantes et les plus célèbres provinces de l’Inde. Mahmoud et Aurang-Zeb ne ressentaient pas la moindre admiration pour la vie ascétique des brahmanes voués au culte des idoles ; ils n’éprouvaient point, comme Alexandre, la curiosité de s’entretenir avec les sages presque nus qui rappelaient à l’élève d’Aristote le cynique Diogène et le faisaient

  1. Une partie de ces mêmes Guèbres avaient émigré vers les bords de la Mer-Caspienne.