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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/282

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des espèces d’académies composées de poètes aimables, de pédans et de beaux esprits. S’il faut en croire la tradition, on y improvisait des vers, on y récitait des madrigaux, on y aiguisait des épigrammes ; un bon quatrain se payait des sommes fabuleuses. Il va sans dire que les poètes ne manquaient pas : on les voyait accourir par bataillons auprès des rois, qui les comblaient de richesses. On en compte jusqu’à neuf qui méritèrent d’être surnommés les neuf joyaux. Au-dessus d’eux tous cependant s’élevait, comme le palmier parmi les arbres de la forêt, Kâlidâsa, civaïte pour la forme, épicurien aux mœurs faciles, poète accompli, à l’esprit fin et délié, le plus habile et le plus ingénieux de tous les écrivains qui ont manié la langue sanskrite. On ne peut omettre de le citer quand on parle de la renaissance des lettres et du brahmanisme. Son talent est de ceux qui appartiennent à tous les temps et à tous les pays. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la traduction de son drame charmant de Çakomtalâ, ou tout simplement les vers immortels que cet ouvrage a inspirés à l’auteur de Faust.

La renaissance à laquelle nous faisons allusion ne s’opéra pas tout d’un coup ; elle fut l’œuvre de plusieurs siècles. Commencée à la cour de Vîkramâditya, qui régnait à Ouddjein un peu avant l’ère chrétienne, elle se continua sous les rois de sa race et s’étendit aux provinces voisines. Au VIIe siècle, le bouddhisme se montrait encore florissant dans une grande partie de l’Inde, surtout au nord et à l’est, comme le prouvent les récits des pèlerins chinois[1]. Trois cents ans plus tard, la cour de Pé-king faisait encore partir pour les pays occidentaux une caravane de trois cents religieux chargés de recueillir les livres relatifs à la doctrine de Çâkya ; mais alors cette religion était mourante aux lieux mêmes où elle avait pris naissance. Aidée du secours de la poésie, la réaction brahmanique allait croissant. L’esprit hindou, après s’être énervé dans les controverses religieuses, se ranimait au souffle d’une littérature qui se retrempait elle-même aux sources de la tradition. Le paganisme enivrait les populations que les rêveries de la métaphysique avaient engourdies. Enfin le brahmanisme avait reconquis son rang à la tête de la société, et les rois, qu’il ménageait habilement, s’abandonnaient sans contrôle à la vie sensuelle et capricieuse des despotes asiatiques. Tout allait donc au mieux dans le monde de l’Inde lorsque l’invasion musulmane vint fondre sur lui comme un fléau inattendu. L’an 1011, le sultan Mahmoud le Gaznévide s’emparait de la ville de Dehli et la mettait au pillage.

Déjà, il est vrai, l’Inde avait entendu parler de l’islamisme. Elle

  1. Voyez la vie et les voyages de Hiouen-Thsang, traduits du chinois par M. Stanislas Julien, et le Fo-koue-ky, traduit par Abel Rémusat, dont la Revue a rendu compte dans sa livraison du 15 novembre 1832.