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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/301

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austère folie. J’épouserai Louise ou je ne me marierai pas. Épouser Louise ! Je ne saurais exprimer toutes les émotions que remue en moi cette idée nouvelle. Louise serait ma femme !… Mais serait-elle la fille de ma mère, la mère de nos enfans ? Pourquoi ce bonheur a-t-il des aspects qui me font frémir ? Ne ris pas de toutes ces contradictions. Songe à la manière dont j’ai été élevé. Je n’ai jamais quitté notre petite ville ; mon âme seule s’en est échappée quelquefois à la suite de la tienne. Un homme qui a voyagé, qui a vécu parmi des étrangers et s’est nourri du lait de l’indifférence, cet homme-là peut épouser la femme qu’il aime ; mais celui qui connaît trois ou quatre mille sots et en est connu, qui vit depuis vingt ans avec eux et ne les a jamais quittés, celui-là est plus faible ou plus fort. Et encore rarement un homme se décide de lui-même à épouser sa maîtresse. Il faut que la femme y voie son intérêt, son salut, qu’elle l’amène à cette consécration, qu’elle soit assez habile pour faire naître en lui le désir de la retenir à jamais. De ce côté je suis tranquille. Louise n’exigera point de réparation. Ce qu’elle demande, c’est que je l’aime. Eh bien ! lâche, enivre-toi de cette fleur, respire son parfum, admire ses nuances infinies, et, lorsque tu en seras rassasié, tu la jetteras, tu la fouleras aux pieds et tu passeras outre !

Je viens de pleurer pendant une grande heure. Voilà de la sensibilité à bon marché et qui rafraîchit. Je ne suis pourtant qu’à demi consolé ; je me sens encore sous l’empire de la tristesse. Bah ! ce soir Louise avec sa gaieté m’aura bientôt rendu la mienne. Elle est bonne pour cela, n’est-ce pas ?


4 avril.

Je ne pouvais plus supporter la mère Morin. Sa présence empoisonnait toutes mes joies, elle ôtait à ma Louise quelque chose de sa grâce et de sa pureté. J’ai déterminé cette charmante fille, non sans beaucoup de peine, à prendre un autre lieu de rendez-vous. Elle a bien pleuré avant de m’accorder cette nouvelle preuve de son amour. Elle m’a confessé naïvement qu’il lui en avait moins coûté de se donner à moi, que ces rendez-vous au dehors l’effrayaient, que c’était comme un pas de plus qu’elle faisait dans une voie mauvaise, et tout cela sans grimaces, avec une simplicité qui m’a ravi et me la rend plus chère encore, s’il est possible. J’ai loué à l’extrémité de la ville un jardin avec un petit pavillon, le tout dans un lieu isolé entouré de terres incultes ou tenues par des jardiniers qui habitent ailleurs. Le soir, on n’y voit jamais personne. Louise s’y rend de chez elle en moins de dix minutes. Je l’attends à un endroit convenu. Elle accourt inquiète et tremblante, regarde de tous côtés, saisit vivement