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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/659

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aux grands bois, à ses jeux d’autrefois, deviendra l’artiste éminent, mais inégal, laborieux et rêveur satirique et poète, épris tour à tour des plus minutieux détails et des plus grands aspects de la nature, que je voudrais expliquer. Le génie naturel que nous apportons en naissant contient sans doute en germe tout ce que nous serons plus tard, mais l’éducation le façonne en mille manières ; elle le développe ou l’amoindrit, et le hasard des circonstances extérieures joue son rôle dans la constitution définitive de l’individualité.

Dès qu’il fut sorti de pension M. Decamps entra dans l’atelier de M. Bouchot. Il y commença quelques études qui ne paraissent pas l’avoir mené très loin. « M. Bouchot me donna, dit M. Decamps, quelques bons avis ; je lui dois des observations utiles ; J’appris chez lui un peu de géométrie, d’architecture et de perspective. Je le quittai néanmoins et fus reçu dans l’atelier de M. Abel de Pujol, que son bon tableau du Martyre de saint Etienne venait de placer au rang de nos meilleurs peintres Je travaillai volontiers dans les commencemens. Malheureusement le maître, bon et indulgent, était peu propre à me faire comprendre l’utilité, l’importance même des études dont je n’apercevais que la monotonie. Le dégoût me vint, et je quittai l’atelier. J’essayai chez moi quelques petits tableaux. On me les acheta, et dès lors mon éducation de peintre fut manquée. » Voilà donc M Decamps livré à ses propres forces, « sans direction, comme il le dit encore, sans théorie, marchant à tâtons, semblable à un navigateur sans boussole ; et m’épuisant quelquefois à poursuivre l’impossible. » L’éducation de l’homme est incomplète, celle de l’artiste presque nulle. Ce qui domine chez lui à cette époque, c’est une curiosité inquiète qui s’attache aux sujets les plus divers. Il ne voit que le côté pittoresque des objets : le détail, l’éclat, la singularité, quelquefois le grotesque et le laid. Ce qui fera la force, l’originalité de son talent, ce qui lui donnera une place à part et très élevée parmi les artistes contemporains, le caractère (je dirai tout à l’heure le style) ne se distingue que vaguement dans ses premiers ouvrages. À défaut de documens précis, les suppositions sont permises, et d’ailleurs les nombreux dessins de M. Decamps qui se trouvent dans les collections.et qui datent de ce temps autorisent à les faire. C’est dans les faubourgs de Paris et dans les villages de la banlieue plus que dans son atelier que M. Decamps compléta ses études. Tout lui est bon, scènes populaires, mendians, chiens et singes savans ; je ne trouve encore aucun souci de la beauté. Le jeu de la lumière, l’effet, qui sera plus tard une de ses principales préoccupations, ne joue pas encore un rôle très important. Ce qui distingue ses premiers croquis, c’est le goût du pittoresque, l’intelligence