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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/708

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encore vivans, aux combats littéraires de la restauration et aux émeutes soulevées par Henri III et Hernani ?

M. Alexandre Dumas fils, qui a si bien réussi dans le passé, qui réussit encore si bien dans le présent, réussira de même dans l’avenir ; il peut compter sur l’accomplissement de notre prophétie et marcher hardiment dans la vie. Il a été formé, dressé, élevé pour le succès, et lui-même ne néglige rien pour développer en lui, à l’exclusion de toutes les autres, les qualités qui font réussir en ce monde. Par exemple, il n’a aucun scrupule ; quel que soit le sujet qui se présente à sa pensée, il l’accepte résolument et en tire le meilleur parti possible. C’est un jacobin dramaturge qui ne recule devant aucun moyen pour atteindre son but, et qui pense que la fin légitime tous les expédiens. Il est fin et avisé, et il met au service de son esprit alerte cette hardiesse, cet aplomb superbe que donne la renommée ou la fortune ; il connaît à merveille les mauvais instincts de son public, les penchans par lesquels on peut le séduire, et il s’entend comme pas un à chatouiller les fibres qui peuvent le faire rire, ou lui procurer une pâmoison sentimentale. Enfin, dernière et suprême qualité, ce jeune et vigoureux esprit n’est dupe d’aucun sentiment, d’aucune passion, d’aucune convention sociale. Les hommes de génie sont toujours, hélas ! la dupe de quelque grande idée et de quelque grand sentiment ; on reconnaît bien vite à leur langage, quelle est leur préoccupation, ils trahissent indiscrètement le secret de leur âme » et, comme d’honnêtes étourdis trop sincères, ils ne craignent pas de faire leurs confidences aux indifférens, et d’avouer, ridicules Sganarelles, l’illusion morale qui les trompe et les berne comme on ne berna jamais Sancho Pança dans les hôtelleries de la Manche. Les plus grands poètes manquent absolument de tenue. S’ils ont une préférence, ils l’avouent tout haut ; s’ils ont foi en certains sentimens, ils le déclarent impoliment. Qui ne voit, par exemple, que Racine est la dupe des passions amoureuses ? Toutes les fois que ce niais, mélodieux rencontre l’amour sur sa route, — et il le rencontre souvent, car Il le cherche toujours et avec obstination, — il ne tarit pas en tirades, passionnées ; la musique de ses vers s’amollit encore davantage ; l’élégance habituelle de sa diction redouble ; la parole humaine n’a plus d’expressions assez tendres pour rendre ce qu’il sent. Et cette préoccupation habituelle des passions de l’amour fait commettre au poète mille maladresses ; il passe à côté des scènes les plus dramatiques sans les voir, il esquisse à la hâte les autres sentimens du cœur humain, tant il est empressé d’arriver à ses scènes de galanterie aimable, de furieuse jalousie, même de passion coupable. Qui ne voit encore que la préoccupation habituelle de Corneille est celle des idées d’honneur et de devoir ? Cette grande âme imbécile en oublie la