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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/181

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II.


Jusqu’au champ suspendu sur cet étroit rocher
Où le chamois et l’aigle osent seuls se percher,
Quel sentier a conduit, dans sa longue escalade,
Depuis ce toit qui fume au pied de la cascade.
Le hardi laboureur qui fait si haut moisson?
Quel oiseau lui prêta son aile et sa chanson?
Quelle occulte vertu, sous ses mains familières.
Fait jaillir tous les ans le bon grain de ces pierres?
Ses bœufs n’ont pu le suivre, et, seul dans le granit,
Il retourne en suant son fer que Dieu bénit;
Seul dans ces hauts sillons étayés de murailles
Il a monté la herse et le sac des semailles.
Le sol même est son œuvre. Au grain blond et vermeil
Dieu n’a rien pour sa part fourni que le soleil.
L’homme a seul amassé sur le roc qui l’appuie
Ce champ aérien repris par chaque pluie.
Toi-même, ô laboureur, toi seul as, sur tes reins.
Porté le riche humus à ces maigres terrains.
Ton blé, germant là-haut, dans la roche brisée,
Y boit plus de sueurs cent fois que de rosée.
Et, comme on bénit Dieu sous son toit de sapin.
Nous devons te bénir quand nous mangeons ce pain.
Ah! qu’il est plein de vie et de saveur! Ah! comme
Ce pain, fait tout entier de la vertu de l’homme.
Donne un plus noble sang, un plus vaillant esprit
A l’aïeul qui le sème, aux enfans qu’il nourrit!

Mais nous, ô voyageur, plus haut! montons encore
Cet escalier des monts par où descend l’aurore;
Chacun de ses degrés offre au cœur agrandi
L’image et le conseil d’un travail plus hardi.

Arrêtons-nous, regarde ! aux flancs du précipice,
Sur ces murs veloutés qu’un fin gazon tapisse.
Le faucheur, sur l’abîme allongeant son râteau.
Ramène herbes et fleurs jusqu’au bord du plateau.

vois ce sapin vieilli dont les dernières branches
Pendent au bord du gouffre avec leurs mousses blanches;
Vois! l’homme ose attacher à ce tronc caverneux
Et prendre pour échelle un câble aux mille nœuds.