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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/208

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du monde! Il ne nous suffira plus d’admirer l’héroïsme des martyrs; la France est désormais la protectrice officielle du catholicisme en Chine, la patronne avouée des chrétiens répandus sur toute la surface du Céleste-Empire : elle contracte une solennelle obligation. Il faudra qu’elle se tienne prête à faire respecter, même par les armes, les engagemens qu’elle a provoqués! — Heureuse inspiration, devons-nous dire aujourd’hui en présence des événemens qui s’accomplissent, puisqu’elle a préparé pour la France un rôle honorable à jouer dans les affaires de l’Asie, et nous permet en ce moment de ne plus laisser à l’Angleterre seule le soin de régler les relations politiques de l’Europe avec la Chine.

En même temps qu’il songeait à relever l’influence française dans les parages de l’extrême Orient, le gouvernement prévoyait l’utilité que pourrait offrir un jour la possession d’une colonie qui servirait à la fois d’entrepôt pour notre commerce et de point de relâche ou de refuge pour nos bâtimens de guerre. Le choix de cette colonie était fort difficile, car, en dehors des états encore indépendans, tels que le royaume de Siam, l’empire des Birmans, la Cochinchine, pays vastes, dont la conquête eût entraîné un grand déploiement de forces et des dépenses considérables, et contre lesquels d’ailleurs nous n’avions à faire valoir alors aucun grief justifiant une prise de possession, les archipels si nombreux de la Malaisie étaient déjà tous occupés ou revendiqués par d’autres nations européennes, de telle sorte que la France, arrivant la dernière, ne trouvait plus un coin de terre où elle pût planter son drapeau. On crut cependant avoir découvert dans la Malaisie, entre les colonies hollandaises et les colonies espagnoles, une petite île dont l’occupation n’exciterait aucune susceptibilité légitime; il s’agissait de Bassilan, dépendance de l’archipel Soulou. On y avait reconnu un excellent port, ce qui était le point essentiel pour l’objet que l’on avait en vue, et les apparences d’un climat salubre. Un triste incident vint d’ailleurs fournir un motif plus que suffisant aux plans de conquête que le gouvernement avait formés. Un officier et plusieurs matelots de la corvette la Sabine avaient été massacrés par les indigènes, et ce lâche guet-apens appelait notre vengeance. L’escadre, sous les ordres de l’amiral Cécille, se transporta sans retard sur la côte de Bassilan; on fit une descente dans l’île; le principal village fut incendié, et rien ne paraissait s’opposer à notre établissement définitif sur une terre où le sang français avait coulé. Cependant les autorités des Philippines prirent ombrage; elles protestèrent contre les projets de l’ambassadeur et de l’amiral, et prétendirent que l’archipel Soulou, et en particulier l’île de Bassilan, séparée de Mindanao par un détroit très resserré, devaient être considérés comme possessions espagnoles. En présence de ces objections qui n’avaient pas été prévues et à défaut d’instructions précises, M. de Lagrené et l’amiral Cécille crurent devoir ajourner l’exécution de leur projet, et il fut convenu qu’on en référerait en Europe aux deux gouvernemens intéressés[1]. Lorsque les cabinets de Paris et de Madrid eurent à examiner cette affaire, ils étaient saisis d’une question bien autrement

  1. Dans un article qu’a publié la Revue des Deux Mondes sous ce titre : les Pirates malais (livraison du 1er août 1853), j’ai raconté les divers incidens qui se rattachent à l’expédition française contre Bassilan.