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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/209

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grave qui absorbait à juste titre toutes leurs préoccupations: on négociait les mariages espagnols. On comprend que, dans de pareilles conjonctures, l’incident relatif à la petite île malaise ait été mis de côté d’abord pour être enfin complètement oublié. Il y aurait eu, de la part du ministère français, la plus grande maladresse à disputer à l’Espagne, qui paraissait y tenir, la possession de cet îlot, et à compliquer, peut-être même à compromettre, pour un si mince intérêt, une négociation très importante, dont le succès était si ardemment désiré. La France ne songea donc plus à Bassilan. Au reste, on ne doit guère regretter que cette île ne soit point demeurée en notre possession. Elle est en effet trop éloignée du centre des affaires asiatiques; elle est en dehors des grandes voies commerciales que sillonnent les navires européens. Comme colonie à culture, elle eût été, par suite de son peu d’étendue, presque insignifiante; comme point de refuge pour nos bâtimens de guerre, elle n’aurait présenté qu’un médiocre intérêt, les escadres européennes stationnant d’ordinaire sur les côtes de la Chine. De plus, en s’établissant à Bassilan, la France se serait imposé une lourde tâche; il lui eût fallu exercer la police dans ces parages infestés de pirates, pourchasser les forbans de Soulou et de Bornéo, et dépenser ainsi beaucoup d’argent au profit des bâtimens anglais, espagnols et hollandais qui fréquentent les archipels de la Malaisie. Cette extirpation de la piraterie nous aurait peut-être fait beaucoup d’honneur aux yeux du monde civilisé, mais quel avantage matériel en aurions-nous retiré? — Il ne reste donc de cet incident de 1845 que le souvenir d’un effort tenté sous le règne de Louis-Philippe pour installer à poste fixe le drapeau français dans les régions de l’extrême Orient : c’était le commencement d’exécution d’une idée juste et prévoyante.

Il ne semble pas qu’après l’affaire de Bassilan le gouvernement de juillet ait porté ses vues sur d’autres points à occuper dans les mers de Chine. Ses relations avec l’Angleterre étant devenues moins cordiales et la situation générale de l’Europe inspirant déjà quelques inquiétudes, il lui eût été difficile de s’aventurer dans les entreprises lointaines, alors surtout que l’opinion publique se montrait fort peu soucieuse des grands intérêts qui pouvaient s’agiter, d’un jour à l’autre, au fond de l’Asie. Cependant, grâce à l’impression laissée par l’envoi d’une ambassade extraordinaire et à la présence d’une escadre plus nombreuse qu’à aucune autre époque, l’influence politique de la France dans l’extrême Orient fut moins effacée. L’ambassadeur, M. de Lagrené, avait visité les capitales des colonies européennes, Manille, Batavia, Singapore, Calcutta, etc. L’amiral Cécille, demeuré en Chine après lui, imprima une grande activité aux mouvemens de l’escadre placée sous son commandement. Le pavillon français fut successivement déployé en vue de la Cochinchine, des îles Lioutchou, du Japon, de la Corée, où son apparition inattendue produisit d’heureux effets. Partout, soit en rappelant d’anciens souvenirs pieusement entretenus par les missions chrétiennes, soit en révélant le nom et la puissance de notre pays par une première démonstration, la venue de nos bâtimens de guerre, leur bonne tenue, le nombre de leurs canons, la discipline de leurs équipages, frappèrent vivement l’attention des gouvernemens et des peuples asiatiques, trop habitués jusqu’alors à ne voir, à ne craindre et à ne respecter que le pavillon an-