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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/523

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Des puritains ont regardé comme une apostasie certains airs aristocratiques que M. Cousin a pris dans la fréquentation du monde de la Place-Royale : on a attaqué la légitimité de ses sympathies et la fidélité historique de ses tableaux, tout cela faute d’avoir compris le vrai sens de ces charmantes compositions. Ce qu’il y faut chercher, ce sont des études morales, non des études de critique, des fantaisies historiques souvent plus vraies que la vérité, non de l’histoire. Au milieu d’une époque comme la nôtre, où toute personnalité distinguée est si fort à l’étroit, le rêve d’un passé idéal est devenu une diversion nécessaire. Autrefois on rêvait une Bétique où la règle était obtenue aux dépens de la liberté ; nous, qui avons vu de près la Bétique, nous nous reportons aux époques où de grands caractères trouvaient de l’espace pour se développer. M. Cousin a toujours accepté pleinement la révolution ; mais nul n’a senti plus que lui combien est lourd l’héritage qu’elle nous a laissé. Entreprise par de nobles cœurs, soutenue par des héros, achevée par des esprits étroits et sans culture élevée, la révolution française eut le tort de toutes les révolutions fondées sur des idées abstraites, et non sur des droits antérieurs. Ceux qui la firent, ou pour mieux dire ceux qui en tirèrent les conséquences pratiques, étrangers à toute philosophie de l’histoire, se représentèrent avec une simplicité puérile les conditions de la société humaine ; ils ne virent pas qu’ils employaient des moyens directement opposés à la fin qu’ils voulaient. Ils voulaient une révolution politique, et, avec leur façon de procéder, ils ne pouvaient faire qu’une révolution administrative. Ils voulaient la liberté, et, en exagérant le principe de l’état, ils ne réussirent qu’à fonder une société analogue à celle de l’empire romain, de la Chine, de l’Égypte, où l’individu est dépouillé de toute garantie, où toute initiative est déférée au gouvernement, où tout ce qui existe vis-à-vis de l’état est ennemi ou suspect, société dont le dernier terme, si la vivacité de l’esprit européen ne créait un contre-poids à ces tendances périlleuses, serait l’entier abaissement de l’esprit. Aussi, une fois l’égalité sociale établie par le code, une fois le préfet, fonctionnaire salarié, substitué à l’intendant et au gouverneur de province, gentilhomme non salarié, la révolution s’arrêta. Au fond, la révolution française, qu’on prend toujours comme un fait général de l’histoire du monde (Hegel lui-même a commis cette erreur), est un fait très particulier à la France, un fait gaulois, si j’ose le dire, la conséquence de cette vanité qui fait que le Gaulois supporte tout, excepté l’inégalité des rangs sociaux, et de cette logique absolue qui le porte à réformer la société sur un type abstrait, sans tenir compte de l’histoire et des droits consacrés.

Ce n’est donc pas un simple caprice qui a porté M. Cousin à s’identifier