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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/227

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Par un matin d’automne ils quittaient leur logis,
Heureux ils cheminaient sur les routes poudreuses,
Et, voyant vers le soir monter aux cieux rougis
De ta grande cité les brumes onduleuses,
Ils croyaient contempler à l’horizon lointain
Les doux et premiers feux de leur gloire prochaine…
Ah! combien ont souffert et sont morts à la peine!
Combien de leur province ont repris le chemin,
Tristes, déçus, le cœur plein de trouble et de haine !

    Quand Maurice partit en habits de voyage,
À la maison voisine un rose et frais visage
Se mit à la croisée afin de le mieux voir.
Et d’une voix d’argent, lui cria : — Bon courage.
Bon espoir et bonheur, Jean-Maurice, au revoir ! —

III.


Or cette voix d’argent, cette voix enfantine.
Ce visage aussi frais qu’une fleur d’églantier,
C’étaient le doux minois et la voix d’Éveline,
La fille du voisin Jacques, le tonnelier.
Dont au soleil levant s’éveillait l’atelier.

    À l’abri d’un hangar, vieux fûts, neuves barriques,
Cuves au large ventre et douves de tonneaux,
Où devaient fermenter les raisins des coteaux,
Reposaient entassés sur le pavé de briques,
Tandis que le patron avec ses ouvriers,
En tablier de cuir, toisait les madriers.
Et chantait un refrain que renforçait encore
Du maillet travailleur le bruit vif et sonore.
Au-dessus du hangar, dans un angle et tout près
De la maison de Jean, s’ouvrait une croisée
Où, sur le bord moussu de la corniche usée,
Des muguets fleurissaient dans un vase de grès.
C’est là que chaque jour s’asseyait Éveline :
Un rameau de jasmin tordu dans les cheveux,
Ses grands yeux bruns penchés vers une toile fine
Où couraient lestement ses petits doigts nerveux,
Éveline songeait, et chaque matinée
Voyait recommencer la tâche inachevée.
Les courses de l’aiguille entre les plis du lin,
Et les songes vermeils de la quinzième année
Qui s’envolaient gaîment vers le toit du voisin.