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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/318

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jamais de dire la messe le dimanche, que ce fût dans une grange ou dans un cellier, au fond d’un bois ou d’une marnière, peu lui importait ; moi-même je lui ai servi souvent de messager pour avertir ses paroissiens, car, vous pouvez le penser, on ne sonnait pas la messe alors. Le bonhomme, quand il se sentait traqué de trop près, allait se réfugier chez Catinon. J’ai bien des fois fumé ma pipe au coin du feu avec ce brave curé, et je le vois encore avec sa barbe longue, sa soutane déchirée et ses grosses bottes garnies d’éperons. Il était un peu goutteux et grand mangeur, mais c’était un cœur de lion. Il s’en alla un jour à Nogaro, à la barbe de Dartigouët, le représentant, donner la communion à un pauvre malade qui l’avait fait appeler. Un soir il fit à Catinon et à Laroque un petit sermon sur le désordre au milieu duquel ils vivaient. Laroque répondit qu’il désirait épouser Catinon, et qu’il en avait parlé au maire de Panjas. Celui-ci lui avait répondu : — Mon ami, je veux bien te marier ; mais j’ai reçu l’ordre de te faire arrêter, et si l’on s’aperçoit que tu as comparu devant moi sans que je t’aie fait mettre en prison, je me ferai une mauvaise affaire avec le district.

— Bah ! bah ! dit le curé, le maire, le district, tout cela sent la révolution ; autant vaudrait se marier au saut du bâton, comme font les bohémiens, ou devant le bouc, comme au sabbat. Je te parle d’un bon mariage devant notre sainte mère l’église, mariage que nous ferons quand tu le voudras, ce soir même, si cela te convient.

— Non pas, répondit Laroque, je tiens à faire une noce. Je veux inviter ma famille, mes amis, mes voisins et le maire lui-même. Soyez prêt dans huit jours. Quant à toi, Francéson, me dit-il, je te prends pour donzelon (garçon d’honneur), et tu verras une belle noce.

Il tint sa promesse. La veille du mariage, on voyait pendus aux solives de la cabane trois lièvres, une douzaine de perdrix, autant de poules ou de chapons, un mouton et un pain de sucre ! Une barrique de vin et une jarre de vieil armagnac complétaient ces provisions qui n’avaient pas coûté un sou à leurs possesseurs. Les unes étaient dues à la discrétion de la lune, qui était à son dernier quartier, le reste à la libéralité de propriétaires et de commerçans qui, voyageant souvent la nuit par les chemins creux, désiraient se concilier la bienveillance de notre nobi (le marié).

Ce fut une noce fort gaie. À huit heures du soir, le curé les maria devant la cheminée où flambait un beau feu de sarmens et d’épis de maïs. Il n’y avait qu’une douzaine d’invités, mais bien choisis. Le maire, un fin gourmand, qui savait que Catinon était bonne cuisinière, n’eut garde de manquer à l’invitation. La mariée avait pour donzelles (demoiselles d’honneur) deux des plus jolies filles du pays, Janine et Cataline, la vieille Cataline qui est aveugle et qui vient