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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/319

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mendier ici. C’était une belle fille alors, vaillante comme le feu et portant un sac de blé sans broncher ! Il y avait aussi Pierrille, le meilleur sonneur, qui savait jouer trois airs sur la vielle, et quelques braconniers, bons enfans, francs buveurs et chantant comme des rossignols.

Quand nous eûmes couché les mariés, les filles se mirent à danser avec nous autres, le maire joua à la bourre avec le curé, et nous nous disposions à passer ainsi le temps jusqu’au jour, lorsque mon frère Cadiche, que j’avais mis en sentinelle, vint nous dire que les gendarmes arrivaient. La noce avait fait du bruit dans le pays, et les gens du district n’auraient pas été fâchés d’arrêter du même coup le curé et le déserteur ; mais c’était un fier homme que Laroque. Quand il entendit parler des gendarmes, il ne se dérangea pas, il demanda seulement où ils étaient. On lui dit qu’ils venaient par le chemin de Salles.

— Ont-ils passé l’étang ? demanda-t-il.

— Non.

— Ils sont à cheval ?

— Oui.

— Alors tout va bien, car en ce moment ils doivent être embourbés.

Il ne se trompait pas. Cadiche, renvoyé à son poste, vint nous rapporter que les gendarmes s’étaient enfoncés jusqu’à la selle dans l’eau et dans la fange, et qu’ils ne pouvaient s’en tirer. Nous nous mîmes à rire ; mais le curé se levant : Mes amis, dit-il, il ne faut pas laisser pourrir deux chrétiens dans un pareil bourbier ; les sangsues les saigneraient à blanc, et les chouettes leur tireraient les yeux. Ôtons-les d’embarras et invitons-les à boire. — Nous prîmes des chandelles de résine et des barres de bois, et nous allâmes à l’étang. Les gendarmes, qui n’avaient plus figure humaine, ne nous demandèrent pas nos papiers, et se montrèrent pleins de complaisance pour se laisser tirer de là. Quand ils entendirent parler d’un bon feu et d’une soupière d’eau-de-vie brûlée, ils nous suivirent. On mit trois faix de sarmens dans la cheminée et l’on recommença à souper. En voyant les gendarmes en bonne humeur, le curé s’écria : « Ce n’est pas tout, il faut porter la rôtie aux mariés ! » Nous fîmes une belle soupe avec du vin blanc, du pain, du sucre et toutes les épices que nous pûmes trouver dans la maison, et le brigadier, qui était du nord, entra dans une telle gaieté en voyant ce ragoût qu’il déclara vouloir le servir lui-même. Il le porta en effet aux mariés qui le remercièrent en riant, comme bien vous pensez, après quoi nous nous remîmes à boire jusqu’à l’aube. Nous les aidâmes à étriller leurs chevaux qui en avaient grand besoin, et ils partirent en annonçant qu’ils reviendraient dans deux ou trois jours. Les gen-