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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/32

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raître, n’était-on pas fâché d’avoir le prétexte de respecter son repos pour s’éloigner également des appartemens de cérémonie occupés par les grands parens. Dans les longues galeries sombres et peu fréquentées qui couronnaient les bâtimens d’enceinte, et qui ouvraient diverses communications avec les étages inférieurs, consacrés à divers usages domestiques, celliers, blanchisseries, etc., on avait un libre parcours pour se chercher et beaucoup de recoins pour se cacher. On tira au sort les groupes qui devaient se donner la chasse les uns aux autres à tour de rôle ; Marguerite se trouva avec Martina et son fiancé le lieutenant.

XVI.

Pendant que le jeune monde du château neuf se livrait à d’innocens ébats, M. Goefle et Christian se livraient à tous les commentaires imaginables sur les découvertes que ce dernier croyait avoir faites relativement à sa naissance. M. Goefle ne partageait pas les idées de son jeune ami. Il les disait écloses dans une imagination plus ingénieuse que logique, et il paraissait plus que jamais tourmenté d’une idée sur laquelle il avait à la fois envie et crainte de s’expliquer. — Christian, Christian, dit-il en secouant la tête, ne vous affligez pas à creuser ce cauchemar. Non, non ! vous n’êtes pas le fils du baron Olaüs, j’en mettrais ma main au feu !

— Et pourtant, reprit Christian, est-ce qu’il n’y a pas des traits de ressemblance entre lui et moi ? Pendant qu’il était évanoui et que son sang coulait sur la neige, je le regardais avec effroi ; sa figure cruelle et sardonique avait pris l’expression de calme suprême que donne la mort. Il me semblait, il est vrai, que nul homme, à moins qu’il n’ait passé sa vie devant une glace, ou qu’il ne soit peintre de portraits, ne se fait une idée certaine de sa propre physionomie ; mais enfin il me semblait que ce type était vaguement tracé dans ma mémoire, et que c’était précisément le mien. J’ai éprouvé la même chose en regardant cet homme pour la première fois. Je ne me suis pas dit : Je l’ai vu quelque part ; je me suis dit : Je le connais, je l’ai toujours connu.

— Eh bien ! eh bien ! dit M. Goefle, moi aussi, parbleu ! en vous voyant pour la première fois, et en vous regardant encore en ce moment-ci, où vous avez la figure sérieuse et absorbée, je trouve, sinon une ressemblance, du moins un rapport de type extraordinaire, frappant ! Et c’est justement là, mon cher, ce qui me fait vous dire : Non, vous n’êtes pas son fils !

— Pour le coup, monsieur Goefle, je ne vous comprends pas du tout.