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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/417

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bres mâles de la famille paient moitié. Les filles et les veuves des paysans des apanages pourront épouser des hommes de toute condition, sans être assujetties à aucune taxe. Enfin les paysans des apanages sont autorisés à passer toute espèce d’obligations et de contrats et à se présenter devant les tribunaux.

L’ukase du 20 juin est une mesure importante qui témoigne d’une résolution fortement arrêtée de mener à bout l’émancipation des paysans seigneuriaux. Cette conviction entraîne un effet bizarre au premier aspect, mais qu’un peu de réflexion fait aisément comprendre. Au moment même où ils paraissent devoir être affranchis, les paysans qui possèdent un petit capital mettent un singulier empressement à se racheter. Un double motif détermine ce résultat. Les seigneurs, inquiets des décisions qui vont être prises, préfèrent liquider une possession précaire ; ils élèvent donc leurs prétentions moins haut. D’un autre côté, les paysans se soucient peu de subir une période transitoire de douze années pour arriver à conquérir la liberté; ils redoutent la réglementation à laquelle les villages doivent être soumis après l’émancipation, et surtout la solidarité qu’ils craignent de voir imposer aux membres d’une même commune rurale. Affranchis séparément, ils gardent leur liberté individuelle, et, quoi que prétendent les défenseurs de la commune russe dans sa forme actuelle, les paysans lui obéissent sans aimer le partage qu’elle prescrit : elle leur impose un joug qu’ils désirent secouer, car le moment est venu où les progrès de la culture et de la sécurité publique permettent au droit de propriété de se dégager des formes grossières de la possession communale. En se hâtant de payer leur liberté à la veille de l’affranchissement qui se prépare, les serfs donnent au législateur un avertissement utile à recueillir : ils témoignent de l’énergie du droit individuel, et protestent à leur manière contre tout ce qui peut consacrer le caractère d’une solidarité communiste, autre forme du servage.


II. — PREMIERS ESSAIS D’ÉMANCIPATION. — LES PAYSANS OBLIGÉS.

En mettant à l’ordre du jour, dans son vaste empire, la question de l’abolition du servage, l’empereur Alexandre II est entré dans la voie que son oncle, l’empereur Alexandre Ier, avec lequel il a plus d’un point de ressemblance, essaya d’ouvrir le premier, sans montrer une persévérance égale à la grandeur de la tâche. Avant lui, on s’était borné à mitiger quelques-unes des conséquences les plus terribles de la servitude. Catherine II fit proposer un jour à une académie la question de l’émancipation des serfs. On imprima même une dissertation portant pour épigraphe : in favorem libertatis omnia jura clamant, mais le prudent écrivain s’empressait d’ajouter :