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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/475

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REVUE. — CHRONIQUE.

péril la liberté, ou le peuple français, retombé en une minorité indéfinie, serait incapable de supporter les institutions libres avec leur système combiné d’initiative et de garanties : double injure pour le gouvernement qu’ils font profession de servir, et pour la nation dont ils cherchent, par d’autres moyens, à surexciter les vanités puériles. Une cause qui se retranche dans une pareille alternative est moralement vaincue. Elle s’enferre et se cloue elle-même aux deux cornes de son lâche dilemme.

Mais ce n’est point notre goût de poser les questions politiques dans les termes généraux, la question libérale pas plus que les autres. Aussi, revenant au modeste courant des faits présens, demanderons-nous la permission de constater en l’honneur de la presse, et de la liberté plus grande qu’elle s’essaie à prendre depuis quelque temps, un nouveau et récent succès dont lui sauront gré les partisans de la liberté religieuse. Nous voulons parler de l’affaire des bibles protestantes. Il est possible que la publicité seule donnée à la première circulaire de M. Le préfet de la Sarthe eût suffi pour avertir l’opinion et éclairer l’administration sur le caractère d’un pareil document. Les observations de la presse libérale sur cette circulaire, observations présentées avec le calme et la dignité qui convenaient à la défense d’un intérêt aussi élevé que celui de la liberté religieuse, n’auront été prises, nous l’espérons, par personne en mauvaise part. Elles ont servi surtout le pouvoir en lui fournissant l’occasion de faire expliquer des instructions mal comprises et de rassurer les consciences émues. En ce qui touche la libre circulation des bibles, la seconde circulaire de M. Le préfet de la Sarthe est satisfaisante. Il n’est plus question d’empêcher de répandre par la voie du colportage les doctrines d’une secte quelconque. On ne parle plus de cette vague et arbitraire estimation du rapport numérique des protestans aux catholiques qui devait légitimer l’interdiction de la distribution des bibles. Nous avons appris également avec plaisir que les instructions auxquelles s’était référé le préfet remontaient à une époque antérieure à l’entrée de M. Delangle au ministère de l’intérieur. Nous nous étions bien doutés, pour notre part, que des instructions de M. Delangle n’auraient pu donner lieu à une aussi grave méprise. Enfin la promptitude avec laquelle ces explications sont venues rassurer les consciences alarmées nous paraît un nouvel et heureux indice du bon esprit qui préside à l’administration de l’intérieur.

Nous croyons remplir un devoir de loyauté et faire acte de véritable indépendance en rendant justice au zèle avec lequel l’administration a profité en cette circonstance des avertissemens de la presse. Il est cependant un point qui nous offusque encore dans la nouvelle circulaire du préfet de la Sarthe ; qu’on veuille bien nous permettre de le signaler. « Ce que l’administration veut empêcher, dit la circulaire, c’est que des sociétés étrangères, disposant de ressources considérables, n’expédient dans notre pays des agens chargés d’y produire de l’agitation. » Ainsi c’est contre les étrangers qui viendraient distribuer des bibles parmi nous que l’on a voulu prendre des précautions. C’est la propagande des sociétés bibliques de Londres qui est suspecte, et que l’on veut désarmer. L’intérêt essentiel de la liberté religieuse n’est plus impliqué dans cette nouvelle prétention. S’il n’est plus permis aux missionnaires anglais de distribuer en France des bibles, nous pensons que les