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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/476

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REVUE DES DEUX MONDES.

communions protestantes de notre pays comptent dans leur sein assez de chrétiens zélés pour prendre la place et remplir la tâche des missionnaires anglais, exclus de ce pieux colportage ; mais, nous le demanderons, pourquoi cette suspicion jetée contre les sociétés bibliques étrangères ? D’où vient cette peur d’une nouvelle espèce de contrebande, — la contrebande religieuse ? Les idées chrétiennes portent-elles la cocarde des nationalités ? Où a-t-on vu que les sociétés bibliques aient jamais chargé leurs agens de produire de l’agitation dans les populations qu’elles cherchent à évangéliser ? Pour l’honneur de notre pays, nous voudrions pouvoir attribuer encore le sens fâcheux de ce passage de la circulaire à quelque nouvelle méprise de rédaction. Ne serait-il pas étrange en effet que la France, si propagandiste de sa nature, la France qui envoie partout ses missionnaires catholiques, qui fait même la guerre, et nous ne l’en blâmons pas, pour leur ouvrir un libre accès chez des peuples qui ne voient pourtant en eux que des agens chargés de produire de l’agitation, que la France refusât d’admettre aux faveurs du colportage quelques distributeurs de bibles, sous prétexte qu’ils seraient étrangers et Anglais ? Quel contraste avec la conduite de ces Anglais à notre égard ! Les milliers de presbytériens qui vivent dans leur sein et qui ont donné une hospitalité si fraternelle à ceux de nos compatriotes chassés de la France lors de la révocation de l’édit de Nantes, ces presbytériens anglais ont reçu du Français Jean Calvin le culte qu’ils professent. Ces mêmes Anglais, protestans de toutes les sectes, ont-ils jamais interdit aux catholiques d’Irlande d’envoyer leurs enfans au collège français de Douai, où fut élevé entre autres Daniel O’Connell ? Eux qui sont si antipathiques aux institutions monastiques ont-ils jamais eu peur de ces saintes femmes que la France catholique leur envoie pour fonder et organiser des couvens ? Ont-ils jamais eu la pensée d’écarter par voie administrative les supérieures françaises des communautés de femmes, qui ont dans ces derniers temps pris à Londres une extension si considérable ? Ne saurons-nous donc jamais nous estimer assez pour nous élever au libéral esprit de la tolérance anglaise ? Ne saurons-nous jamais assez respecter le christianisme pour laisser l’esprit souffler où il veut ?

Lorsque, soixante-dix ans après la révolution française, nous voyons de pareils préjugés assiéger encore la pensée de certains administrateurs, nous ne pouvons être surpris des craintes exagérées auxquelles s’abandonnent en ce moment parmi nous un grand nombre de dissidens. Lorsque ceux qui ont la majorité, qui ont la puissance, qui jouissent de la faveur du pouvoir, ne dissimulent point les idées d’envahissement et les sentimens intolérans d’un autre âge, est-il étonnant que les communions dissidentes sentent renaître, elles aussi, les inquiétudes du passé ? Pour ne parler que des protestans, il faut convenir que la France, même lorsqu’elle ne les a pas rejetés de son sein avec une iniquité inexpiable, a toujours été pour eux une mère défiante et dure. Même après 1830, dans ce court interrègne de liberté pratique dont la durée bienfaisante nous a été mesurée avec tant d’avarice, on a vu se renouveler plusieurs fois des incidens aussi fâcheux que celui qui est survenu récemment à Maubeuge. C’est que nous n’avons pas su mettre à profit ces dix-huit années pour organiser fortement nos libertés, la liberté