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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/503

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fois qu’il s’est inspiré de cette fiction, il en est sorti quelque page marquée à son meilleur cachet. Nous distinguons pourtant, et dans cette famille nous avons nos prédilections.

La première de toutes les Marguerite fut la Marguerite au rouet ; elle parut au salon de 1831, en compagnie du Faust tourmenté par le doute. Depuis les Femmes souliotes, Scheffer n’avait rien exposé : c’était son nouveau programme. Avec deux simples figures, chacune isolée dans son cadre, presque sans accessoires, deux portraits pour ainsi dire, il faisait lire clairement, à première vue, sans le secours du livret, tout ce que la plus fine analyse, la plus pénétrante psychologie auraient pu découvrir au fond de ces deux âmes. Comme on les voit souffrir, chacune à sa façon : l’une inquiète et vacillante devant d’obscurs mystères qu’elle s’obstine à sonder, l’autre en contemplation muette devant des mystères aussi, et non moins formidables, les premiers troubles de l’amour ! Cette intensité d’expression, obtenue avec tant d’aisance et des moyens si simples, sans l’ombre de charlatanisme, c’était quelque chose de nouveau et de considérable en peinture. La foule le comprit et se pressa devant ces deux études avec une sympathie curieuse. Scheffer alors se sentit comme attaché à son sujet, il lui sembla ne l’avoir qu’effleuré, et, sans concevoir encore l’idée de compléter le drame, sans revenir en arrière jusqu’aux débuts de ce fatal et touchant amour, il alla droit aux scènes qui tentaient son talent, et avant tout à la Marguerite au prie-Dieu. Nous désignons ainsi la pauvre fille assistant à la messe et succombant à son remords. Quelle attitude et quel regard ! Comme le corps s’affaisse, comme cette tête s’abandonne et tombe sur le prie-Dieu ! Quelle douleur, quel cri de l’âme dans ces bras, dans ces mains ! et comme tout ce pathétique est contenu dans sa juste mesure ! Ici c’est plus qu’une étude, plus qu’un jeu de physionomie habilement rendu, plus qu’un tour de force d’expression, c’est une action complète : la toile est pleine ; les accessoires jouent leur rôle, encadrent la figure principale et en redoublent l’effet. Cette paix, ce silence, ce recueillement autour de la jeune fille donnent à son angoisse quelque chose de plus déchirant.

Pour Scheffer évidemment, cette scène de l’église était à son insu le sujet tout entier : tout Faust était là pour lui. Aussi ce tableau, selon nous, sans être inattaquable, s’élève-t-il au-dessus des autres. Il est mieux inspiré et plus touchant. On ne trouve peut-être ni moins d’invention ni moins de sentiment dans la Marguerite au Sabbat : sa tristesse est aussi navrante, sa pose est aussi vraie, et la seule façon dont elle tient son enfant fait comprendre toute son histoire ; mais ce pâle fantôme a beau faire, il est moins attachant que la vivante Marguerite, et puis le groupe des deux hommes