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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/504

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n’est pas tout à fait exempt d’un défaut presque inconnu à Scheffer, l’emphase théâtrale. Quant aux autres épisodes, la Sortie de l’Église, la Promenade au Jardin, ce sont de charmantes idylles où l’expression sommeille un peu. Détachées de l’ensemble, ces toiles ne se recommanderaient que par la grâce d’un blond visage, d’un doux regard azuré, d’une démarche souple et légère, d’une heureuse variété d’attitudes et d’expressions ; mais en s’entremêlant à ce tragique voisinage, elles prennent un tout autre intérêt : ce sont des repos, des valeurs négatives, comme les silences en musique. Il en est autrement de la dernière de toutes ces Marguerite, la Marguerite à la Fontaine. Là, nous trouvons encore un vrai chef-d’œuvre d’expression : la pauvre enfant écoute, mais sans en avoir l’air, les propos qu’échangent sur son compte les jeunes filles ses compagnes ; un trouble indéfinissable altère son placide visage. Ce qui la fait rougir, c’est à la fois l’amour, car on voit qu’elle rêve au bonheur ; c’est aussi la première alarme, le premier frémissement d’une conscience en péril. Tout cela se sent et se voit clairement, sans qu’on puisse dire exactement à quels signes on le devine.

Nous parlons de ce tableau sans nous apercevoir qu’il n’a pas vu le jour, et même qu’il est sorti de France un mois à peine avant la mort du peintre ; mais la gravure nous le rendra bientôt. Quant aux autres, ce sont déjà de vieux amis du public, on peut, en en parlant, se dispenser de les décrire. Ce genre de privilège appartient à presque toutes les créations de Scheffer. Les Mignon par exemple, dont la pensée première lui vient aussi de Goethe, ne sont pas moins connues que les Faust et les Marguerite. On peut même s’étonner que ces figures purement rêveuses, conçues dans un esprit presque tout germanique, sans action caractérisée, et plus lyriques que dramatiques, aient si bien réussi chez nous, qu’elles soient l’objet d’une faveur si générale et si constante dans un pays qui, ayant tout, demande aux arts un sens déterminé. À cela point d’autre cause que la toute-puissance et la magie de l’expression. Si frivole ou si positif que soit le spectateur, il ne peut voir avec indifférence ce regard ardent et malheureux qui semble le poursuivre et s’attacher à lui tout en se perdant dans l’espace. Certains critiques ont demandé à quel signe on s’apercevait que cette jeune fille a le mal du pays, comment on devinait qu’elle rêve aux citronniers et au soleil plutôt qu’à toute autre chose, à sa mère, à ses compagnes, ou même à son amant ? Pauvres questions qui n’ont pas arrêté le public ! Y a-t-il là une créature humaine, un cœur souffrant comprimant ses soupirs, rongé de souvenir et de regret ? D’inexprimables aspirations se lisent-elles sur ce visage ? Voilà tout ce qu’il faut au public, et il a bien raison. Cette sorte de mystère qui échappe à l’analyse, et que le