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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/655

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fance, puis cette autre armée de possesseurs turcs payant du service guerrier le domaine qui leur était échu et défendant leur pays comme une proie, tout cela rendait les armes ottomanes égales au moins à celles de l’Europe, et devant les divisions et les troubles des états chrétiens elles semblaient supérieures.

De ce génie des arts, déjà levé sur l’Occident, la Turquie n’empruntait encore que des instrumens de force matérielle, l’artillerie, la construction des forts et quelques notions de marine appliquées par des renégats ; mais, loin que la confiance des Turcs fût diminuée par ce besoin de secours étrangers, elle en devenait plus ambitieuse et plus hautaine, comme se sentant prédestinée à prendre captive la chrétienté tout entière, avec ses richesses et ses arts.

On n’avait pas oublié le débordement de la conquête turque sous Mahomet II, et comment de Constantinople le sultan menaçait déjà Rome, quand la mort l’arrêta. Le long règne de Soliman II accrut cette puissance, conquit Rhodes, ravagea la Hongrie, humilia l’Autriche, et pesa sur l’Europe comme sur l’Orient. Même sous son obscur successeur Sélim, surnommé justement l’Ivrogne, l’empire turc, encore dans le torrent de son invasion, allait enlever Chypre aux Vénitiens.

C’est alors que devant la force croissante et l’ambition de la Turquie, malgré la connivence, de Charles IX, qui préludait par cette lâcheté au grand crime de son règne, entre l’inaction calculée de l’Angleterre, la timidité de l’Autriche, l’épuisement de la Pologne en guerre avec la Moscovie barbare, on vit apparaître le réveil du génie chrétien et resplendir l’étoile de l’Occident.

À qui l’honneur de cette résistance et des représailles victorieuses qu’exerçait enfin la chrétienté ? Nommons d’abord un pape, Pie V, un simple religieux parvenu de la plus humble origine au siège pontifical, prêtre austère et zélé, d’un esprit violent, a-t-on dit, mais ayant de la grandeur et de la prévoyance.

C’est ce pontife qui, dès la première menace des Turcs contre l’île de Chypre, sollicita vivement une ligue de quelques états chrétiens. Prêcher la croisade n’était plus possible dans l’Europe divisée par les ambitions des princes et le schisme religieux ; mais, si le pape ne pouvait plus entraîner toute l’Europe à une guerre sainte, que Luther avait blâmée comme injuste et inhumaine, il pouvait du moins y prendre part et donner à sa souveraineté temporelle le plus glorieux emploi.

Rien n’arrêta le zèle du généreux pontife, pas même les lenteurs égoïstes et la froide astuce du monarque dont il devait le plus espérer le secours. Philippe II en effet, impitoyable pour les débris du mahométisme épars encore dans ses états, hésitait à lutter contre la