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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/743

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de juger un tel livre. Si Emmanuel Kant, Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, M. Biot, les deux Humboldt, et quelques autres du même rang, avaient été constitués en tribunal pour établir les rapports des sciences exactes et de la philosophie, l’ouvrage de M. Apelt eût été digne d’être soumis à leur jugement. Ils auraient fait sans doute plus d’une objection à l’auteur, mais ils auraient apprécié ce goût de la grande philosophie, cette investigation pénétrante des lois de la nature et de l’esprit, ce spiritualisme si élevé uni à une science si exacte. Qu’il nous suffise d’avoir signalé, dans ce retour à la méthode d’Aristote, un témoignage des efforts que fait la philosophie allemande pour se renouveler elle-même. Cette métaphysique de M. Apelt, résumé d’un travail de quinze années, paraît bien à propos ; elle couronne en quelque sorte le mouvement d’études dominé par les efforts de M. Fichte. Des juges défians l’ont bien accueillie ; les naturalistes en ont poussé des cris de joie : les naturalistes ! ce sont là, nous l’avons vu, les adversaires que le spiritualisme allemand est obligé aujourd’hui de rallier à sa cause ; si quelqu’un peut faciliter cette alliance, c’est M. Apelt.

M. Apelt n’a pas écrit seulement pour les physiciens et les géomètres, il a écrit aussi pour les théologiens, pour les jurisconsultes, pour tous ceux qui étudient la vie morale de l’homme. L’année dernière, un publiciste libéral, M. Robert Haym, publiait aussi un important manifeste intitulé Hegel et son temps[1]. Tout en rendant hommage au génie du philosophe de Berlin, il tâchait de délivrer l’Allemagne de l’obsession de son nom et de ses doctrines. L’ouvrage est savant, bien inspiré, très ingénieux parfois ; trop souvent la pensée de l’auteur se développe péniblement sous des formes lourdes et obscures : M. Haym avait été plus heureux dans sa biographie de Guillaume de Humboldt. Le meilleur moyen de réveiller et de rectifier l’inspiration philosophique, c’est de donner vaillamment l’exemple. La philosophie de Hegel peut être comparée à une sorte de théogonie indienne ; M. Apelt y substitue les conceptions d’Aristote. La métaphysique allemande semble passer d’Orient en Grèce, comme le fit un jour l’esprit humain dans son développement séculaire : échappée aux rêveries du panthéisme, elle reprend possession de la nature et de l’homme, elle s’incline devant la cause suprême. Lorsque le goût des hautes spéculations de l’intelligence, ranimé enfin par ces solides études, aura rendu à la science des idées la popularité qu’elle a perdue, je crois que le nom de M. Apelt occupera une belle place dans l’histoire de son pays.

Ainsi, et c’est là un résultat de plus en plus manifeste, la philosophie

  1. Hegel und seine Zeit, von Robert Haym ; 1 vol., Berlin 1857.