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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/810

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le jeune homme avait son âme suspendue aux lèvres de la charmante étrangère. De son côté, la jeune châtelaine, habituée aux phrases compassées de ses danseurs parisiens, se sentait agréablement surprise de l’énergie méridionale qui régnait dans les paroles du jeune docteur. Ils s’abandonnaient donc tous deux à un charme également vif, l’un avec l’élan d’un cœur qui voit combler ses vœux les plus chers, l’autre avec la quiétude d’une douce ignorance que viennent surprendre des impressions nouvelles.

Mme de Presle avait été fort peu remarquée par les paysans de Fabriac. En effet, elle était venue en simple cornette, abritée sous son ombrelle ; or, dans le midi, le chapeau est pour la femme ce que l’habit noir est pour l’homme. Les mos même ne se permettent qu’un bonnet plus ou moins orné, car la coiffure est la preuve distinctive de la position féminine, et dire une dame à chapeau, c’est indiquer une personne appartenant au plus haut degré de l’échelle sociale. La physionomie de Mme de Presle avait une exquise expression de bonté ; ses yeux, d’un bleu pâle, lançaient encore quelques-uns de ces vifs rayons que l’on admirait chez sa fille. Ses cheveux n’avaient fait en vieillissant qu’adoucir et éteindre leurs teintes. Chez Mme de Presle, tout était doux et effacé : la voix, les traits, les nuances de sa robe et de son châle.

Cependant le ciel s’était chargé de nuages ; quelques larges gouttes de pluie, suivies d’un coup de tonnerre lointain, vinrent consterner les danseurs. L’orage s’avançait, et chacun dut regagner promptement sa demeure. La famille de Presle ne pouvait penser à retourner au château. La pauvre Parisienne demanda en vain une voiture, une patache, une charrette ; le chemin conduisant à Saint-Loup serpentait entre de grosses pierres rapprochées, et n’était praticable que pour les piétons. La mère de Noélie regardait avec stupeur les petits lacs jaunâtres que la pluie avait déjà creusés dans le sable foulé de la salle de bal. Le vent secouait violemment la tente, et les grands alisiers agitaient en frissonnant leurs petites feuilles. Il fallait prendre un parti et se résigner à demander l’hospitalité à un villageois, au risque de périr d’ennui dans cette hôtellerie improvisée. Mme de Presle allait prier Jeannette, la domestique et la nourrice de Noélie, de lui indiquer la maison la plus convenable de Fabriac, lorsque maître Etienne Lavène, prévenu par son fils, vint demander en assez bon français à la châtelaine de lui faire l’honneur de souper sous son toit en attendant la fin de l’orage. La Parisienne accepta avec empressement, et la famille de Presle fut bientôt installée au foyer des Lavène. L’atmosphère s’était si brusquement rafraîchie que Mme de Presle et la nourrice s’établirent avec béatitude autour d’un feu clair de sarmens. Hector avait tiré de son sac