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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/847

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entière doit être régénérée dans ses élémens les plus intimes, et recevoir cette féconde excitation d’une éducation bienveillante qui invite au travail et à l’ordre, et prépare les molécules humaines à devenir, en se rapprochant et s’organisant, un corps de nation. Tout grand commerce suppose un double courant de production et de consommation, étranger à des races indolentes pour lesquelles l’insouciance et la misère sont devenues une seconde nature. Leur demande-t-on les denrées et les matières premières que recherche l’industrie européenne, il faut stimuler leur activité et la diriger vers l’exploitation des richesses naturelles du sol. Recherche-t-on chez elles des débouchés pour nos produits manufacturés, il est aussi nécessaire d’éveiller de nouveaux besoins et de nouveaux goûts. Pour être féconde, la réforme sociale au Sénégal doit aller au fond des choses. Que servirait d’ouvrir par la politique la porte du commerce, si la propriété individuelle n’y venait vivifier les esprits et les champs, si l’offre réciproque du travail et du salaire n’y suppléait à l’esclavage aboli, surtout si la famille, aux mœurs honnêtes et laborieuses, n’y triomphait d’une polygamie oppressive, où les forts rejettent toute peine sur les faibles ? Le progrès matériel, même dans son expression première, qui est ici le troc, sollicite donc le progrès moral et social, et en retour lui vient en aide.

Ces réflexions, vraies pour toute colonie, s’appliquent particulièrement au Sénégal. Les premiers occupans et les compagnies privilégiées qui leur succédèrent au XVIIe et au XVIIIe siècle, n’ayant d’autre pensée que le gain, ne visèrent qu’à la spéculation, et le commerce y fut toujours restreint, ou ne prospéra que par la traite des esclaves, dont ce pays devint un des foyers les plus mal famés. Le Sénégal n’a vu s’ouvrir devant lui une ère nouvelle que le jour où la métropole, cédant à de généreuses inspirations, y a déposé comme un germe l’esprit de rénovation et de progrès, qui est l’esprit même de la philosophie et du XIXe siècle.

Presque toute la population de Saint-Louis est africaine de naissance : sur 12,062 âmes que constata le recensement de 1856, les Européens ne comptaient que pour 185[1]. En outre, l’extrême diversité d’origines locales constitue un assez grand nombre de groupes distincts. Le fonds de la population, de couleur noire, provient des deux états ouolofs contigus, le Oualo et le Gayor. Malgré une occupation de date fort ancienne, la langue française s’est peu répandue dans cette classe, témoignage d’une trop légère influence de notre contact, et le sentiment de la dépendance politique a même fait si peu de progrès, que le chef religieux des indigènes, le tamsir,

  1. Le recensement opéré à la fin de 1857 n’a porté que sur la banlieue et la campagne. Les chiffres que nous reproduisons restent comme les dernières données officielles.