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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/848

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était naguère à leurs yeux et demeure peut-être encore pour quelques obstinés le véritable gouverneur, tant ils inclinent à se croire alliés plutôt que sujets de la France. Animés du reste d’un dévouement patriotique pour leur pays, ils se font de bon cœur nos auxiliaires dans nos expéditions, où ils combattent en tirailleurs, seul mode d’action qui convienne à leur indiscipline. Comme tous les noirs, ils exècrent les Maures, et les combattent bravement, à visage découvert, à la condition toutefois de se sentir appuyés par les blancs.

Au sein de cette foule, quelques Européens sont venus s’établir, et ils y séjournent à des titres divers : fonctionnaires civils ou militaires, trafiquant pour leur propre compte où représentans des maisons commerciales de la métropole. Ce sont en général, comme tous les hommes dont une vie d’aventures et de voyages développe les facultés, des esprits intelligens, quelquefois éminens, en qui le soin des affaires et de leur avancement se concilie avec de sérieux et sincères désirs de progrès. On compte très peu de femmes blanches au Sénégal : aussi l’élément créole y est-il presque inconnu. La plupart des Européens qui ont voulu s’y donner les joies de la famille se sont alliés aux femmes indigènes, et de ces unions temporaires, consacrées presque toujours uniquement par la coutume et l’opinion, est née une race intermédiaire d’hommes de couleur, auxquels s’applique, dans le langage usuel, le titre spécial d’habitans, titre qui s’accorde aussi aux nègres baptisés et à certains noirs musulmans dont la famille, ayant toujours été libre, occupe un rang élevé dans la société de Saint-Louis. Ce sont les notables indigènes de la ville, classe autrefois prédominante par la possession du sol, des captifs, des capitaux, par le monopole de la traite dans le fleuve, et qui, bien qu’un peu déchue, exerce encore aujourd’hui une influence sérieuse sur l’esprit public. Contrairement aux mulâtres des autres colonies, qui trop souvent servent d’instrument à la dure exploitation des noirs par les blancs, ou qui prennent ces derniers en haine et aspirent à les chasser, les hommes de couleur de Saint-Louis sont restés fidèles aux doubles sentimens qui, d’après le vœu de la nature, doivent découler d’une double origine. Ils servent de liens entre les blancs et les noirs, se rapprochant des premiers par l’intelligence et l’éducation, des seconds par la nuance de la peau et la connaissance familière de la langue dominante, le ouolof. Les préjugés de couleur n’existant pas au Sénégal, ils n’ont pas à désavouer leur lignée maternelle, ni à souffrir de cette provenance comme d’une tache : aussi se montrent-ils bienveillans pour les noirs en même temps qu’ils sont les agens nécessaires des Européens dans leurs rapports d’affaires avec les peuplades indigènes de la Sénégambie. Honorés ainsi d’une mutuelle confiance, ils inspirent et éprouvent une double sympathie. Nulle part les mérites