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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/962

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français a été victime, est sans doute une de ces explosions par lesquelles éclate çà et là d’un bout du monde à l’autre la fermentation musulmane. La France est trop mêlée aux populations musulmanes d’Afrique pour qu’on ait pu espérer qu’aucun éclat de l’agitation du mahométisme n’arriverait jusqu’à elle. C’est même un singulier bonheur que les populations algériennes soient demeurées calmes dans cette crise : rien ne prouve mieux la valeur et la force du pouvoir que nous avons établi en Afrique. Néanmoins ce prestige de force, qui fait notre sécurité au milieu des tribus soumises de l’Algérie, nous commande de tirer une prompte et terrible vengeance de l’attentat qui vient d’être commis, si près de nous, par des fanatiques, sur la personne d’un vice-consul de France. La difficulté qui nous est survenue avec le Portugal a sans doute une origine moins odieuse, mais elle réclamait une égale vigueur. Nous ne sommes point surpris que le gouvernement français ait cru devoir couper court à des chicanes de procédure et à des lenteurs de chancellerie, lorsqu’il s’agissait de revendiquer la restitution d’un navire français capturé illégalement hors des eaux du Portugal. Le Charles-George était destiné au transport de noirs engagés, commerce que le décret de 1852 rend légal ; il avait du reste à bord un agent du ministère de la marine dont la présence garantissait la moralité de ses opérations. Il ne saurait donc y avoir d’incertitude sur le droit et le devoir du gouvernement français en cette circonstance. La disproportion de puissance qui existe entre la France et le Portugal ôte d’ailleurs tout prétexte aux Inquiétudes que cet incident a causées il y a quelques jours dans le monde des affaires. L’Angleterre a justement en ce moment un grief analogue au nôtre contre le Portugal ; elle ne peut donc point soutenir le cabinet de Lisbonne dans une résistance inexcusable et impossible.

Nous sera-t-il permis, à l’occasion de cette regrettable affaire du Charles-George, de rappeler les considérations que nous inspirait, il y a quelques mois, l’affaire de la Regina Cœli ? Le Charles-George, comme la Regina Cœli, était employé au transport des engagés libres de la côte d’Afrique. Voilà en moins d’une année la seconde difficulté à laquelle donne lieu ce contestable trafic. Nous avons déjà expliqué l’influence fâcheuse que ces engagemens peuvent exercer sur la côte d’Afrique. Il est connu que le nègre, livré à lui-même, n’a nul penchant pour l’émigration, et que l’idée ne lui viendrait jamais d’aller louer ses services au-delà de l’Atlantique ; il est connu aussi qu’il y a peu de nègres libres sur la côte d’Afrique. Les seuls libres, les Kroomen, sont une population maritime ; ils nous fournissent des matelots, mais ils ont une répugnance instinctive pour les travaux agricoles. Il faut donc demander les engagés que l’on veut attirer dans nos colonies à de petits sultans, rois ou chefs, qui alimentent leurs haras d’esclaves par d’incessantes guerres. Au lieu d’aliéner pour la vie la liberté de leurs esclaves, ils la vendent pour un certain nombre d’années aux traficans européens. Nous savons bien que ceux-ci peuvent alléguer qu’ils accomplissent une œuvre de civilisation en rachetant aux chefs de la côte la liberté des noirs qu’ils engagent ; c’est un argument analogue qu’invoquaient autrefois les négriers et les défenseurs de la traite : ils enlevaient, disaient-ils, à une mort certaine et ils gagnaient au christianisme ces milliers d’esclaves