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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/963

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qu’ils venaient enrôler pour la culture du sucre, du café et du coton. Ce sophisme a été, grâce à Dieu, impuissant à protéger l’abominable crime de la traite ; il est manifeste que les négriers, par les approvisionnemens d’hommes qu’ils venaient acheter aux chefs noirs, excitaient ces barbares aux guerres féroces par lesquelles ils se procuraient leur butin d’esclaves. SI le commerce des engagés prenait un développement plus considérable, qui voudrait affirmer qu’il n’exercerait point une influence analogue parmi les chefs et les sultans africains ? C’est cette conséquence malheureusement trop probable qui nous effraie dans le système adopté depuis 1852. Il nous semble que la conscience publique a besoin d’être rassurée sur ce point. Nous voudrions qu’une enquête fît au moins connaître l’importance des opérations auxquelles le système des engagemens a donné lieu depuis 1852. Nous voudrions que les procédés de ce commerce et que les résultats qu’il a pu produire en Afrique et dans nos colonies fussent étudiés et exposés avec une impartialité vigilante et équitable. La philanthropie, nous le savons, n’est guère de mode aujourd’hui ; mais il ne nous déplaît point de braver un léger ridicule en appelant la lumière sur une question qui intéresse l’humanité, et qui ne saurait demeurer indifférente à la générosité et à l’honneur de notre nation. Au surplus, l’affreux accident de la Regina Cœli et la capture du Charles-George sont des avertissemens plus éloquens que nos instances, et nous ne doutons point qu’ils ne soient entendus et compris.

L’événement extérieur le plus important de la quinzaine est assurément la proclamation de la régence du prince de Prusse. C’est la destinée des peuples qui ne prennent point une part active et continue à leur gouvernement, c’est la destinée des états de notre continent de recevoir l’empreinte successive des souverains qui sont à leur tête ; tel pays paraît tour à tour hardi ou timide, audacieux ou fin, lettré ou grossier, brillant ou terne, suivant le génie du prince. Cette assimilation du peuple au roi n’était nulle part plus naturelle qu’en Prusse, car la Prusse est la création toute récente de ses rois. Un changement de personnes dans le gouvernement a donc en Prusse une importance particulière. Le roi Frédéric-Guillaume IV, dont il est aujourd’hui permis de considérer le règne comme achevé, avait imprimé à la Prusse l’incohérence de ses idées et de ses sentimens, et il n’était guère possible que la Prusse, devenue sous sa main un écheveau embrouillé, ne perdît pas quelque chose de l’influence qui lui appartient en Allemagne et en Europe. Nous n’avons jamais été les détracteurs du roi Frédéric-Guillaume IV : il avait dans l’esprit et le caractère des parties attachantes. Une curiosité de savant, des enthousiasmes de poète, une sensibilité presque maladive dans les relations de famille, des délicatesses de conscience raffinées par le zèle religieux. Il était impossible de voir bouillonner tant de qualités bonnes, brillantes, humaines dans ce cerveau trop faible, sans mêler une sorte de compassion respectueuse aux jugemens défavorables que l’on était forcé quelquefois de porter sur les hésitations de sa politique. Frédéric-Guillaume IV était un honnête homme, et nous, qui ne croyons pas aux grands hommes dans le sens dégradant pour l’humanité que la plus triste des superstitions, la superstition politique, attache à ce mot, nous tenons