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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/211

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sent la jalousie. C’est un cas particulier, une bizarrerie du cœur, et non un des accidens ordinaires des passions adultères. On n’a qu’à consulter la nature pour comprendre que, dans de telles passions, le mari seul a le droit et le devoir d’être jaloux. Pour que l’amant ait le droit d’être jaloux, il faut supposer l’existence d’un rival, c’est-à-dire la possibilité d’un deuxième amant. Qu’est-ce que la jalousie? C’est le tourment d’un cœur qui sent qu’il est moins aimé ou qu’il est à la veille d’être moins aimé que par le passé. L’amant n’est jaloux que parce qu’il suppose chez l’être aimé une préférence : entre deux rivaux par conséquent il ne peut y en avoir logiquement qu’un seul de jaloux, et ce jaloux sera celui qui se sentira le moins aimé. Telle est, je crois, la loi générale qui régit la jalousie. Si Fanny a accepté Roger pour son amant, c’est évidemment qu’elle l’aime plus que son mari, et s’il est le plus aimé, quelle raison a-t-il d’être jaloux? Par la préférence dont il est favorisé, il est fait pour inspirer la jalousie, non pour la ressentir. La jalousie de Roger est donc un cas particulier, irrationnel, excentrique, qui viole toutes les règles de la logique des passions, car les passions ont leur logique comme la raison.

La jalousie de Roger est chimérique, irrationnelle, et elle est basse. Ce sentiment douloureux de la jalousie ne se compose pas seulement de nobles susceptibilités, de délicatesses froissées; il y entre certains élémens vils, méprisables, matériels, empreints de bestialité, que toutes les âmes bien nées redoutent et prennent soin d’extirper d’elles-mêmes dès qu’elles en aperçoivent la présence. Il y a une jalousie à la fois grotesque et animale qui accompagne d’ordinaire la persévérance acharnée dans un amour notoirement dédaigné ou notoirement trahi, et que ressentent les âmes assez lâches pour acheter un plaisir infâme même au prix du dégoût et du mépris de l’être aimé. Les tourmens de cette jalousie naissent de la pensée du partage de la personne physique. C’est à un autre que l’être aimé appartient en réalité ;’c’est pour lui que sont réservées les plus ardentes caresses et les expressions les plus affectueuses, et, chose plus horrible, c’est ce rival favorisé qui possède le privilège non-seulement de recevoir, mais de donner tout ce que l’amour physique contient de bonheur. Cette jalousie-là est véritablement celle de Roger; il n’en exprime pas d’autre. Elle naît chez lui d’un sentiment d’humiliation devant le mari de Fanny, un mari capable de racheter amplement la qualité par la quantité. Laissons-le expliquer lui-même la nature de sa jalousie : « En me rappelant combien elle était sensible aux caresses, en me représentant les scènes les plus enivrantes de notre amour, et me comparant à son mari, je me sentis rougir... Elle m’aime pour changer, me dis-je avec amer-