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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/281

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couvre de vapeurs, et l’atmosphère, surtout au-dessus de la ville, en est alors si chargée et devient si basse, que la montagne disparaît, cachée bizarrement jusqu’à moitié comme par un rideau de théâtre. Bien qu’elle nous touche, nous n’en distinguons plus que la base et le fond des ravins boisés, rendus d’un bleu sombre par une ombre impénétrable. Si le vent reste mou, si le brouillard, au lieu de se fondre en rosée, remonte jusqu’à la région ordinaire des nuages, on est à peu près certain d’entendre, vers le soir, un ou deux coups de tonnerre éclater dans la montagne et de voir la pluie tomber : elle continue jusqu’au matin. Vers quatre heures, nous apercevons des étoiles ; tout se dissipe avec la nuit, comme si, chassés eux-mêmes par les approches du jour, les nuages s’évanouissaient pêlemêle avec les ténèbres. Le soleil paraît dans un ciel où ne reste pas le plus petit trouble ; les horizons sont nets, vifs et fermes. Nous pourrions compter les cèdres plantés, à trois mille pieds au-dessus de nos têtes, sur les derniers pitons des Beni-Salah.

Le plus ordinairement, les soirées sont magnifiques ; je les passe au bois des Oliviers. En ce moment de l’année (12 mars), le soleil se couche un peu après six heures, et directement au pied de la plaine, entre le promontoire avancé de la Mouzaïa et le pays montueux des Beni-Menasser, sur des collines qui ont l’air d’une mer agitée. On le voit suspendu comme un globe au-dessus de cette haute barrière violette, ou faisant rayonner, quand il y a des nuages, un vaste triangle enflammé. À mesure qu’il descend, l’orbe grandit ; on peut pendant un instant le considérer sans fatigue, car il n’envoie plus ni chaleur ni rayons. Il plonge enfin parmi les collines et disparaît, tout rouge et comme déchiré par les aspérités de l’horizon. Aussitôt commence un crépuscule ardent de quelques minutes. L’humidité précède la nuit, et moins d’un quart d’heure après le départ du soleil, toute la campagne est inondée de rosée.

Je ne vais plus guère au bois des Oliviers que pour assister à ce spectacle, un des plus beaux de la journée. Autrefois c’était un lieu que nous aimions pour toute sorte de raisons, dont beaucoup au moins n’existent plus ; peut-être était-il plus attrayant, peut-être étions-nous plus jeunes. Nous y vivions à l’ombre, adossés contre le tronc des arbres, étendus sur de courts gazons et causant de souvenirs classiques en regardant tomber autour de nous les petites olives sauvages que le vent du printemps secouait des branches. Nous pouvions encore, à ce moment-là, rêver à quelque chose de grave et de grand à l’ombre de ces beaux arbres chargés d’années, et devant ce petit marabout à coupole basse, assez semblable à un autel. Je me souviens que nous y avons lu l’Œdipe à Colonne pendant une après-midi qui rappelait la Grèce. « Étranger, te voici dans