Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/410

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ma chère idole, de cette idole faite de ce que mon âme a de plus passionné, mon sang de plus chaud, de mon amour en un mot, un sacrifice que je ne puis ni ne veux faire, il en est un autre qui m’est permis et que je ferai. On m’a bien des fois accusé d’être un homme léger, sans mœurs, disaient quelques bouches sévères : eh bien ! ce qui est vrai, c’est qu’il n’est pas une seule femme, parmi celles mêmes dont m’a rapproché pour le moins d’instans ce qu’on est convenu d’appeler le caprice, qui n’ait fait naître en moi les émotions les plus profondes et les plus sérieuses pensées. Quand je crois avoir surpris chez une créature humaine la moindre étincelle de ce feu mystérieux que Dieu s’était réservé, qu’il nous a donné à regret, qui a la toute-puissance à la fois de sa bonté et de sa colère, cette créature-là, même en dépit de tous mes vouloirs, prend pour moi quelque chose de sacré. Comment donc devais-je traiter celle qui m’a fait connaître de cette flamme divine tout ce qu’une âme peut enfermer? Rejeter dans le néant un être que j’en avais tiré pour en faire mon bien, ma joie, mon trésor, rendre à toutes les misères, à toutes les abjections de la vie celle à qui j’avais donné l’hospitalité dans mon cœur, cela m’eût été impossible. Madame, un certain Jacques de Mesrour, avant de se croiser, laissa tout ce qu’il possédait aux pauvres. J’ai fait pour mon amour ce que mon ancêtre fit pour la charité. Luce, en apprenant mon départ, saura demain qu’elle est en possession du peu qui m’appartenait. Je lui laisse ma maison de Sainte-Marcelle, cette maison où elle est venue me demander asile. Que fera cette créature bien-aimée, à qui je donne tout ce que je puis donner? Je n’en sais rien. La goutte d’eau que j’ai recueillie dans ma main, et dont je désire aujourd’hui qu’un miracle fasse une perle, tombera probablement dans la poussière. Vous le pensez, n’est-ce pas? Moi, je veux en douter; en tout cas, je suis la loi de toute ma vie, j’obéis à tout mouvement de mon cœur, n’importe comment vous voudrez l’appeler, élan, inspiration, fantaisie, qui ne froisse pas l’honneur, c’est-à-dire la seule idée humaine dont j’aie gardé le souci, car chaque jour, madame, je vous l’avouerai, je me sens plus étranger à toutes les choses de ce monde. Est-ce une bonne ou mauvaise pensée? Je l’ignore, mais je me dis: N’importe à quel brasier on l’enlève, point de charbon qui ne purifie les lèvres. Qui sait ce que je devrai peut-être à la passion qui indignait tant, me disiez-vous l’autre jour quand je vous ai interrompue, tous les cœurs honnêtes et tous les esprits sensés?... »


PAUL DE MOLENES.