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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/526

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d’étoffe en manière de parasol, voilà, je crois, le seul mobilier nécessaire au marchand forain.

Celui des artisans n’est guère plus compliqué. Le maréchal-ferrant, que je prends pour exemple, est un homme en tenue de voyage, coiffé du voile, en jaquette et les pieds chaussés de sandales à courroies, qui porte avec lui dans le capuchon de son manteau tout le matériel d’une industrie qui semble un art de fantaisie, tant elle a peu d’occasions de s’exercer. Ce sont des morceaux de fer brut ou préparés d’avance, un marteau, des clous, un chalumeau, une très minime provision de charbon de bois, enfin l’enclume, c’est-à-dire un instrument portatif semblable lui-même à un marteau dont le manche sert de tige et de point d’appui. Trouve-t-il un cheval à ferrer, aussitôt il s’installe. Il fait un trou dans la terre, et y établit son fourneau de forge. Il plante son enclume à côté du fourneau, s’accroupit de manière à la saisir entre ses genoux, choisit un fer dans sa provision, et le voilà prêt. Un apprenti, un voisin, le premier passant venu rend à l’industriel le service de souffler le feu, et lui prête obligeamment le secours de ses poumons. Le fer rougi et façonné, le reste se pratique comme en Europe, mais avec moins d’effort, moins de précaution, moins de perfection surtout. Le fer est rarement autre chose qu’une sorte de croissant très mince, à moitié rongé de rouille, qui ressemble à du cuir taillé dans une vieille savate hors d’usage. Quand le charbon manque, on le remplace alors par de la tourbe, ou plus simplement par du fumier de chameau, combustible actif, qui se consume à petit feu sourd, comme un cigare, et se reconnaît tout de suite à des combinaisons d’odeurs végétales absolument fétides.

Boutiques, acheteurs, marchands, gens à pied et à cheval, bêtes de service et bêtes d’achat, tout se trouve aggloméré sans beaucoup d’ordre, ni de prudence. Les grands dromadaires se promènent librement et se font faire place, comme des géans dans une assemblée de petits hommes ; le bétail se répand partout où il peut ; l’âne au piquet fraternise avec l’âne mis en vente, et dans ce pêle-mêle, où les intéressés seuls savent se reconnaître, il est assez malaisé de distinguer les gens qui vendent de ceux qui achètent. Les affaires se traitent à demi-voix, avec la ruse du campagnard et les cachoteries du trafiquant arabe ; on fume des pipes afin d’en délibérer ; on boit du café comme un moyen amical de se mettre d’accord ; il y a, de même qu’en France, des poignées de main significatives pour sceller les marchés conclus. Les paiemens se font à regret, l’argent s’écoule avec lenteur, avec effort, comme le sang d’une plaie mal ouverte, tandis qu’au fond des mouchoirs (le mouchoir tient ordinairement lieu de bourse), on entend résonner, longtemps avant