Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/803

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passé sont entraînés vers l’avenir par l’idéal où ils tendent. Ces aristocrates ont décrédité sans retour toute supériorité traditionnelle et factice, et introduit la seule souveraineté qui n’ait point à redouter de déchéance, la souveraineté de la raison.

Voilà donc les principes des socratiques, et Isocrate, à prendre l’ensemble de ses idées, est bien un moraliste de cette école, mais en même temps il est Isocrate. Ce que nous savons sur sa personne, principalement par lui-même, peut faire pressentir sa manière de penser. Il avait une excellente constitution et conserva jusqu’à près de cent ans une santé toujours florissante. Il était beau, nous avons entendu là-dessus le témoignage de Platon. Il était riche, et cette richesse, qu’il ne devait qu’à lui, n’avait pas été pourtant péniblement arrachée, soit par de rudes labeurs, soit par des luttes énergiques : la fortune s’était pour ainsi dire livrée d’elle-même à la séduction de son talent. Isocrate avait à la fois l’illustration et l’opulence, la faveur publique et de brillantes amitiés ; il était aimé, applaudi, comblé ; il n’était pas redoutable, il lui manquait, dit-il lui-même, d’avoir de la voix et d’oser, et j’ai peur que ce qu’il appelle oser ne soit simplement vouloir : son caractère n’avait pas ce ressort qui fait la force. Il ne s’était jamais fait une querelle avec personne, il mécontentait seulement par sa vanité ; mais, malgré cette vanité, qui fait sourire, il se croyait modeste, parce qu’il n’avait pas d’orgueil. Ajoutons à tous ces traits que nous ne connaissons d’Isocrate que sa vieillesse, car pas un de ses ouvrages, je dis de ceux qui comptent et sur lesquels on peut le juger, n’est de la première moitié de sa vie, quoiqu’il ait vécu presque centenaire. Le Discours panégyrique, qu’il publia à cinquante-cinq ans, représente pour nous sa jeunesse ; ses autres discours ont été faits à l’âge de soixante, soixante-cinq, soixante-quinze, quatre-vingts, quatre-vingt-dix, et enfin quatre-vingt-quatorze et quatre-vingt-dix-sept ans. La vieillesse a dû tempérer encore un naturel déjà par lui-même sans âpreté, et nous pouvons compter que nous trouverons toujours chez lui la sagesse et la mesure.

Je n’ai pas tenu compte, pour me représenter Isocrate, de quelques anecdotes dont on a paré sa vie, et dont on montrerait aisément l’invraisemblance, si c’était ici le lieu de ces discussions de détail. Je ne puis voir dans Isocrate un héros, mais un honnête homme et un sage. Son naturel est essentiellement modéré ; il ne comporte ni vertus suprêmes, ni torts graves. Il n’a pas les élans d’un Platon, la vivacité d’un Xénophon, la verve polémique qui commande aux esprits ; il est incapable aussi des excès et de l’irritation où d’autres s’échappent. On peut chercher ailleurs une volonté ou une pensée plus énergique : on ne trouvera nulle part une sagesse qui soit, pour