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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/913

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nement, sur lequel la digue reçut le tracé qu’elle a conservé, fut un des derniers actes de l’administration du maréchal de Castries.

Cependant il fallait régler le mode d’exécution des travaux, et trois systèmes se trouvaient en présence : M. de La Bretonnière et M. Lefèvre, ingénieur en chef de la généralité de Caen, souvent consulté et trop rarement cru, voulaient qu’on coulât, pour former le noyau de la digue, des carcasses de vieux navires remplies de maçonneries brutes, et que sur cette ligne d’appui on jetât des pierres perdues. Suivant M. Decaux, le directeur du génie, il fallait commencer par fonder au milieu de l’entrée de la rade une île factice en caisses maçonnées descendues dans la mer, y construire un fort, et profiter, pour l’allongement des branches, de l’expérience acquise dans ce premier travail. La majorité des suffrages fut enlevée cependant par les fameux cônes de M. de Gessart, qui s’était déjà fait connaître par la construction du beau pont de Tours, d’une solidité à toute épreuve, disait-on, car il avait supporté sans se rompre le plus grand fardeau de la France, le passage de Mme du Barry. Les plus enthousiastes de cette conception furent le maréchal de Castries et le bon Louis XVI lui-même, qui, lorsque les journées des 5 et 6 octobre vinrent l’arracher du château de Versailles, avait encore son cabinet tapissé des dessins et garni des modèles qui l’avaient séduit.

Les cônes tronqués de M. de Cessart, que Dumouriez louait outre mesure dans sa correspondance lorsqu’ils étaient en opposition avec les vues de M. de La Bretonnière, et dont il s’est plus tard fort agréablement moqué dans ses mémoires, ces cônes étaient construits en charpente et destinés à être remplis de pierres, puis échoués sur l’alignement de la digue : on leur donnait 45m 50 de diamètre à la base, 19m 50 au sommet, et 19m 50 de hauteur. Une rangée de 90 cônes devait rompre les coups de mer et assurer la tranquillité de la rade. Le premier, construit au Havre, fut mis en place le 1er juin 1784, le second le 18 octobre, et l’on s’aperçut aux gros temps d’hiver que le chargement, au lieu de s’y tasser, y était secoué comme le grain dans un van : on ne s’arrêta pas à ce mécompte, et l’opération fut poursuivie avec un succès momentané; mais le 18 octobre 1785 tous les cônes furent violemment ébranlés par une tempête, et on se hâta, pour les consolider, de les chausser avec des pierres perdues : ces pierres résistèrent sans qu’on tirât les conséquences naturelles de ce fait. Le roi, qui attachait un patriotique intérêt au succès, vint le 22 juin 1786 raffermir lui-même la confiance indécise et fit poser un cône sous ses yeux ; mais dans l’hiver qui suivit, tous les cônes furent renversés. Le maréchal de Castries accourut et prodigua les consolations et les encouragemens à M. de Cessart désespéré : il eut seul de la constance lorsque tout le monde