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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/914

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était abattu. A Paris et à Versailles, on passait du découragement à la critique, de la critique à l’invective, et dans le conseil même on parlait d’abandonner l’entreprise. Ce fut alors que le maréchal, en demandant au roi un nouveau crédit de 300,000 francs, s’engagea devant le conseil à prendre cette somme à sa charge, si l’emploi n’en amenait aucun bon résultat. Nous avons tous connu des ministres qui n’en auraient pas fait autant en pareil cas. De nouveaux cônes furent posés; mais à mesure qu’on avançait, la mer, en ébranlant les cônes et en étalant les pierres qui s’en échappaient, montrait que ce n’était point l’entreprise, mais le système d’exécution qu’il fallait abandonner : c’est ce qu’on fit en 1788, et l’on revint au système le plus simple, celui des pierres perdues, dont on verra plus loin les résultats.

Telle est l’histoire des cônes de Cherbourg, dont toute l’Europe fut occupée. Le seul service réel qu’ils aient rendu a été d’offrir aux premiers enrochemens un point d’appui que les coques de vieux navires coulés de M. de La Bretonnière auraient donné à moins de frais. M. de Cessart se flattait de terminer au moyen des cônes la clôture de la rade en sept ans et avec une dépense totale de 17,400,000 livres. Il ne fallait rien de moins qu’une pareille illusion pour aveugler des hommes expérimentés sur les vices du procédé. On a peine à concevoir toutefois que, dès les premiers momens, ils n’aient pas calculé combien de temps pouvaient durer ces énormes charpentes immergées dans la mer. Tout le monde l’apprit en 1799: le premier cône, qui formait le musoir oriental, et qui, plus soigné que les autres, avait été consolidé par un couronnement en béton, s’affaissa plutôt rongé par la tarière silencieuse des vers de mer que sapé par les assauts des lames; tous les autres étaient depuis longtemps tombés par lambeaux.

La révolution frappait ses premiers coups, et le 20 juillet 1789 des troubles sur le caractère odieux desquels le temps a jeté son voile éclatèrent à Cherbourg. Le duc d’Harcourt s’échappa en proscrit de ces murs, dont chaque pierre rappelait ses services. Dumouriez fut accusé d’avoir fomenté ce soulèvement afin d’écarter le duc, dont la supériorité de position gênait son ambition personnelle : il est au moins certain qu’il ne fit rien pour le réprimer, et cette inaction, rapprochée de sa correspondance, fait peser sur sa mémoire le reproche d’une noire ingratitude. Devenu malheureux à son tour, Dumouriez s’est honoré par l’hommage public qu’il a rendu à son ancien chef : il le met, dans ses mémoires, le premier parmi les personnes auxquelles la France est redevable de l’établissement de Cherbourg. « Très aimé, dit-il, de l’infortuné Louis XVI, il a consacré à la réussite de ce projet son grand crédit, ses soins, sa plume