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nonniers à peine sont sur les lieux pour les servir. Ici encore, un vide affligeant peut être rempli par de simples transpositions. Le dépôt du beau régiment d’artillerie de la marine est à Lorient, dans celui de nos ports qui risque le moins d’être attaqué. Sa présence y peut exercer une influence très salutaire sur les recettes de l’octroi et sur le prix de location des chambres d’officiers; mais sa place est au poste du danger, et c’est une assez singulière organisation que celle qui met les canons d’un côté et les canonniers de l’autre. Il est vrai que nos matelots, dressés à l’exercice du canon, ils l’ont bien prouvé à Sébastopol, seraient d’un puissant secours pour le service des batteries de côte; mais ils ne sont pas sous la main comme une troupe organisée, et il est imprudent, en face de pareils dangers, d’oublier que les soldats d’infanterie de marine pourraient tous être instruits à la manœuvre de pièces stables, infiniment plus simple que celle des pièces de campagne, qui se meuvent sur les champs de bataille.

En 1787, pendant la réunion à Cherbourg de la commission chargée d’étudier les dispositions définitives de la digue, Dumouriez écrivait : « Sans doute des bâtimens embossés et ceux même qui voudront entrer dans la rade n’essuieront pas le feu d’un fort sans danger; mais apparemment on risque à la guerre quand il y a objet et raison suffisante. Duguay-Trouin sut risquer à Rio-Janeiro. Au commencement de l’avant-dernière guerre, tous les jours l’amiral Anson soutenoit thèse sur l’attaque de Brest qu’il vouloit persuader à sa nation, et tout à l’heure M. Le bailli de Suffren me disoit qu’à cette distance de quatre à cinq cents toises un fort seroit redoutable pour les vaisseaux obligés de rester là, mais qu’il n’est aucun feu qu’ils ne puissent supporter en passant. Appuyé de cette autorité, je tiens d’autant plus à l’idée que par mer comme par terre on compte toujours trop sur ce feu, qu’il ne peut être de grand effet qu’avec du temps, qu’il ne faut pas absolument s’y fier ni le craindre en passant. » Si Dumouriez disait vrai en 1787, que ne dirait-il pas aujourd’hui qu’au lieu des vaisseaux d’autrefois, des batteries flottantes à l’épreuve du boulet pénétreraient dans la rade! Trouverait-il les batteries circulaires des musoirs suffisantes pour prévenir un désastre? C’est une question que les nouveaux progrès de l’artillerie posent en présence des hommes spéciaux. Tous seront d’avis qu’il est urgent d’élever les moyens de défense au niveau des moyens d’attaque. Déjà sont posées les bases d’un fort qui doit être assis sur la Basse-Chavagnac, au milieu de la passe de l’ouest; mais peut-être n’est-ce pas assez, et le danger du passage des batteries flottantes, qui, plus redoutables que les vaisseaux, ont beaucoup moins de tirant d’eau, devrait ramener à l’ancien projet de la construction