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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/98

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— Jésus-Maria, comme c’est avisé, ces jeunesses d’aujourd’hui ! ça parle comme des avocats ; mais, voyons, nous ne sommes pas ici pour casser des noisettes. Je sais ce qu’il lui faut, à cette tourterelle-là : des dentelles, de jolis rubans, un beau mouchoir de cou pour faire la belle le dimanche. Justement c’est dimanche en huit la fête de Gilois.

La grossièreté de ce langage choqua Thérèse au point de lui faire oublier qu’elle avait un service à demander à la mère Piroulaz, et qu’elle devait la ménager par conséquent.

— Je n’ai besoin ni de dentelles ni de rubans, répondit-elle avec dédain, et d’ailleurs je n’achète jamais de contrebande.

— Suis-je assez innocente de vouloir lui vendre de la contrebande à cette chère amie ? répliqua la vieille femme, blessée à son tour ; comme si Ferréol n’était pas là ! Ne nous fâchons pas, ma petite poule ; tu n’as rien voulu m’acheter, mais ce n’est pas une raison pour que je ne te donne pas un avis pour ta gouverne. Tu t’imagines être la seule à qui Ferréol fait des cadeaux ; la semaine dernière encore, sans aller plus loin…

— Eh bien ! quoi ? qu’a-t-il fait ? demanda avec anxiété Thérèse, qui, bien que préparée à entendre sur le compte de Ferréol les récits les plus affligeans, n’avait cependant jamais eu, tant elle était confiante et naïve, la moindre crainte qu’il pût jamais lui être infidèle.

Soit reste de bons sentimens et pitié pour la pauvre fille, qu’elle voyait tout à fait troublée, soit au contraire calcul pour prolonger sa torture, la vieille Piroulaz ne répondit à cette question que d’une manière évasive ; mais Thérèse revint à la charge en termes plus pressans encore.

— Je vous en conjure, mère Piroulaz, dit-elle d’une voix suppliante ; je vous achèterai du sucre, du café, des fichus, tout ce que vous voudrez, mais au nom du ciel dites-moi ce qu’a fait Ferréol la semaine dernière. Vous ne me répondez pas ? Vous avez donc menti tout à l’heure ? Les gens ont bien raison de dire que vous êtes la plus méchante femme du pays.

— Ah ! j’en ai menti ! ah ! je suis la plus méchante femme du pays ! s’écria la Piroulaz en écumant de colère. Ferréol ne va donc pas tous les jours à Mouthe chez la Rosalie ! Il n’y était pas hier soir encore avec ton frère Tony, qui sera, c’est moi qui te le dis, un fameux mauvais sujet ! Il n’a pas donné la semaine dernière à Rosalie un châle comme on n’en a jamais vu un sur le dos d’une fille de Mouthe ! Ils ne se sont pas promenés dimanche dans le village bras dessus, bras dessous, si bien que tout le monde était sur les portes pour les regarder passer ! Tu n’es pas trop mal, ma petite biche ;