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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/613

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Du reste, cette absence de documens chronologiques a moins d’importance pour Léonard que pour tout autre. La fantaisie qui gouvernait ses actions présidait aussi à ses études, et il est probable que, même avec plus de documens, il serait difficile de trouver de l’unité à sa vie, et dans son talent ce développement normal et pour ainsi dire logique si vivement accusé chez Michel-Ange, et plus nettement encore chez Raphaël. Cet homme étonnant, chez qui le savant l’emporte peut-être sur l’artiste, préludait, dès ce premier séjour à Florence, à ces études de mécanique, d’hydraulique, d’optique, de géologie, qu’il n’abandonna jamais, et dans lesquelles il se trouve être le précurseur et souvent l’émule des Bacon, des Laplace et des Cuvier. Très jeune encore, suivant Vasari, il faisait des plans d’édifices, de moulins, de fouleries et de machines se mouvant par la seule force de l’eau. Ce fut lui qui le premier proposa de canaliser l’Arno de Pise à Florence. Il composait une quantité de modèles et de dessins pour prouver qu’on pouvait aplanir une montagne ou la percer afin d’unir deux plaines, qu’au moyen de leviers, de vis et de cabestans, on pouvait soulever ou tirer des poids énormes, qu’à l’aide de pompes il était facile de curer un port et de faire monter les eaux. Parmi ses dessins de machines se trouvait le fameux plan au moyen duquel il démontra un jour à plusieurs citoyens de mérite qui gouvernaient alors Florence qu’il soulèverait leur temple de San-Giovanni et l’exhausserait sur des degrés sans le renverser. Les beaux-arts avaient cependant aussi une large part dans ses études. « Il dessinait beaucoup d’après nature et modelait en terre des figures, qu’il drapait ensuite avec des chiffons mouillés et enduits de terre. » On sait qu’il faisait des maquettes pour les figures qu’il voulait peindre, afin d’en étudier le relief dans ses moindres détails. Aussi déjà sa science du clair-obscur et de la dégradation des tons de manière à nettement accuser la forme était-elle prodigieuse ; mais, autant qu’on en peut juger par les quelques peintures de sa jeunesse qui nous sont restées, cette imitation pour ainsi dire textuelle de la nature était son but principal, et ce n’est que plus tard qu’il étudia avec une rare perspicacité, qu’il exprima en praticien consommé les effets des passions et des affections de l’âme sur la forme et dans l’expression du visage. De tous les ouvrages que Léonard fit, sans qu’il y ait sur ce point de contestation possible, pendant son premier séjour à Florence, trois seulement, l’Ange, dans le Baptême du Christ de Verrocchio, à l’Académie de Florence, la Tête de Méduse et l’Adoration des Mages de la galerie des Offices, sont parvenus jusqu’à nous. On a cru avoir retrouvé, il y a quelques années, cette autre figure d’ange dont parle Vasari, qui tient une main appuyée sur la poitrine tandis