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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/614

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que l’autre, élevée en avant, avait donné l’occasion au peintre d’exécuter un admirable raccourci ; mais l’authenticité de ce tableau ne me paraît pas parfaitement établie. Quant aux autres œuvres énumérées par les biographes, le Neptune traîné par des chevaux marins, qu’il fit pour Antonio Segni, le grand carton d’Adam et Eve, où tous les détails du paysage, les fleurs et les animaux, étaient traités avec une si minutieuse précision, les admirables portraits au charbon d’Amerigo Vespucci et du chef de bohémiens Scaramuccia, elles paraissent irrévocablement perdues. Il en est de même de la Vierge qui appartenait au pape Clément VII, et que d’Argenville vit encore au Vatican en plein XVIIIe siècle[1] : l’imitation de la réalité y était poussée à un degré extraordinaire, et Vasari ne manque pas de remarquer qu’il se trouvait dans ce tableau une carafe pleine de fleurs couvertes de rosée qui avaient une fraîcheur qu’on croirait dérobée à la nature. Étude minutieuse de la forme, exécution parfaite des moindres détails, exactitude qui touche parfois à la puérilité, telles sont les préoccupations presque exclusives de Léonard à cette époque. Je ne veux pas m’arrêter à la figure d’ange qui lui est attribuée dans le Baptême du Christ d’André Verrocchio : elle est sans doute supérieure aux autres parties de cette composition. La tête est très belle, le dessin de l’ensemble est large en même temps que précis ; mais l’invention en appartient probablement à Verrocchio, et Léonard n’a fait que développer la pensée de son maître en l’améliorant. Dans la Tête de Méduse des Offices, tout est de lui au contraire, et son naturalisme ainsi que sa science précoce de praticien s’y accusent très nettement. Ce tableau, merveilleusement conservé, a eu le sort de presque toutes les œuvres de Léonard : on en a contesté l’authenticité. Se fondant sur le peu d’intérêt que présente le type du visage et sur l’infériorité relative de la peinture dans cette partie de la composition, on a supposé que nous ne possédions qu’une répétition faite d’après l’original, qui serait aujourd’hui perdu ; mais cet ouvrage, si important par sa date, a pour lui les deux seules preuves qui comptent en matière d’authenticité, l’histoire et l’évidence. Il se trouvait, au temps de Vasari, dans la collection du duc Cosme de Médicis. Il n’est pas probable que les contemporains de Léonard aient pris une copie pour un original, et ce tableau ne paraît pas avoir jamais quitté Florence ni même la collection dont il fait partie aujourd’hui. Quant à l’évidence, si les couleuvres vertes qui servent de coiffure à la tête de Méduse ne sont pas de la main de Léonard, il faut supposer qu’il existait un peintre, dont le nom serait inconnu, plus habile que

  1. D’Argenville, Abrégé de la Vie, etc., Paris 1762, t. Ier, p. 118.